Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
4 Janvier 2020
C'est à une visite -in extremis- de cette exposition que j'ai conviée ma chère A. (L'exposition se termine demain).
Influencé par Camille Pissarro, Paul Gauguin crée ses premières œuvres dans le style impressionniste. Animées de touches vibrantes de couleurs, elles traduisent les perceptions de la lumière en plein air.
En 1886, Gauguin effectue son premier séjour à Pont-Aven parallèlement à Claude Monet, maître et précurseur du mouvement impressionniste, qui séjourne au même moment à Belle-Ile-en-Mer. Plus tard, l’impressionnisme rencontre l’adhésion de certains artistes venus peindre ou s’installer en Bretagne.
Délaissant les aplats de couleurs, ces artistes poursuivent, chacun à leur manière, les travaux de Claude Monet en Bretagne et tentent eux aussi d’apporter des réponses aux vibrations atmosphériques liées à l’océan. Après le départ de Paul Gauguin, des peintres du groupe de Pont-Aven décident de prolonger leur séjour en Bretagne. Parmi eux, Henry Moret , Maxime Maufra , Gustave Loiseau , Ferdinand Loyen du Puigaudeau .
Honneur à Paul Gauguin pour ouvrir cette exposition :
et cette "fenaison en Bretagne", oeuvre prêtée par le Musée d'Orsay, qui a signé un partenariat avec le Musée de Pont-Aven
Il s'agit d'un tableau de 1888 double présentant au recto "La fenaison en Bretagne" et au verso le"Bouquet de fleurs devant une fenêtre ouverte sur la mer"
Gauguin choisit de représenter un ensemble de chaumières que l'on trouve juste derrière l'église du village et qui précèdent un champ dénommé Le Derout-Lollichon du nom de son propriétaire.
Son second séjour à Pont-Aven témoigne de son évolution vers un art plus décoratif qui le conduit à simplifier les plans et à construire les compositions de ses tableaux d'une manière symbolique qui refuse la simple et servile reproduction. Si le ciel, lourd et changeant, la flèche du clocher noyée dans la brume, les personnages et le chien saisis en plein mouvement, sont encore d'esprit impressionniste, le peintre veut se dégager de l'éphémère et organiser son oeuvre d'une manière plus stable suivant un caractère symboliste. Le champ, univers clos, fermé par la masse brune et simplifiée des chaumières, occupe la moitié de la surface, traité tel un aplat vertical sur lequel sont disposés des personnages sans véritable respect des proportions...
Les œuvres du musée de Morlaix sont en prêt pendant les travaux de réfection du musée. Cette peinture de Monet s'inscrit donc ici tout naturellement dans le parcours présenté.
A l'automne 1886 Monet s'installe à Belle Ile. Les stries obliques de la pluie à la manière des graveurs japonais laissent apercevoir au delà de la lande rose quelques maisons et un moulin. Travaillant aux mêmes emplacements par tous les temps, Monet amorce ici une démarche sérielle qu'il reproduira par la suite. Il exécutera en tout 39 toiles inspirées par l'île.
Si les artistes impressionnistes éclaircissent leurs toiles, le traitement de la couleur évolue également, notamment pour le traitement des zones d'ombres. Les ombres vont prendre des teintes originales penchant vers le bleu violacé, dans les œuvres impressionnistes, qui tentent, surtout dans les années 1870 d'écarter au maximum le noir de leur palette.
Le bleu est tellement présent dans les oeuvres que la critique s'est moquée de leur « indigomanie ». La couleur est, au XIXème siècle, un champ d'exploration en science comme en art. Les peintres connaissent en effet le livre publié en 1839 par le chimiste Eugène Chevreul, qui faisait état de toutes les transformations subies par les couleurs selon leur voisinage, à savoir la loi du contraste simultané des couleurs. Ainsi, parce que la lumière du soleil est jaune-orangée, les ombres, suivant le principe des couleurs complémentaires, sont bleues.
Ceci est très visible dans cette œuvre d'Henry Moret, mais aussi dans de nombreuses autres peintures présentées dans l'exposition, notamment les paysages enneigés ou les esquisses maritimes de Maxime Maufra.
La démarche impressionniste rompt avec celle de leurs prédécesseurs. Ayant choisi de représenter le monde qui les entoure au moment même de la réalisation de leurs tableaux, ils s'efforcent de traduire le caractère instable et de rendre l'éphémère du moment observé.
Selon l'heure du jour, la saison ou le temps qu’il fait, un même paysage connaît de sensibles variations. Pour fixer sur la toile les rapides sensations visuelles qui se modifient à chaque instant, ces peintres renouvellent leurs méthodes de travail pour traduire avec sincérité ce qui s'offre à leurs yeux.
Elie Faure désigne « la sensation visuelle de l’instant, qu’une longue et patiente analyse de la qualité de la lumière et des éléments de la couleur a permis à trois ou quatre hommes de fixer au vol dans leur complexité infinie et changeante. »
C'est de cette nécessité qu'est né le besoin de créer en série, c'est à dire représenter un même paysage selon des ambiances lumineuses différentes. Monet notamment initie ce travail en série que l’on lui attribue dès 1886 lors de son séjour à Belle-Ile.
Henry Moret est né à Cherbourg (Manche) le 12 décembre 1856. D'origine normande, Henry Moret mène simultanément des études à l?école des Beaux-Arts à partir de 1876, dans l'atelier de Lemann, et chez Ernest Corroller à Lorient.
Pendant son service militaire à Lorient, Moret découvre la côte sud de la Bretagne mais il ne semble faire la connaissance de Gauguin et d'Emile Bernard qu'en 1888-89, lors de séjours à Pont-Aven (Finistère) (Paysage de Pont-Aven, vers 1889, Quimper, musée des Beaux-Arts). Il s'intègre au groupe et devient l'un des plus intéressants représentants de l'école de Pont-Aven.
Moret a été l'un des premiers peintres à se déplacer à proximité du Pouldu, qui est rapidement devenu le nouveau centre d'attraction pour les artistes de Pont-Aven.
Après le départ de Gauguin en 1891, Moret commence à développer son propre style. À cette période Moret retourne à un style à l'accent impressionniste proche de Claude Monet, bien qu'avec des formes qui restent très architecturées, sous la touche désordonnée, et des verts acides.
Alors que son style pictural se caractérise par les influences synthétistes, il adopte à partir de 1900 un style plus impressionniste. Henry Moret a surtout peint la Bretagne, un peu la Normandie et les Pays-Bas.
Séjournant à Ouessant, Henry Moret saisit une vue de l’île métamorphosée par le manteau neigeux qui s’est posé à Ouessant. Dans cette œuvre, l’artiste traite les zones de pénombre avec une nuance de bleue et non de gris, comme auraient pu le faire les artistes réalistes avant lui.
"En mai 1918 s’éteignait Maxime Maufra, peintre post impressionniste, ami de Paul Gauguin et des disciples de Pont-Aven".
Peintre et graveur, Maxime Maufra fut l’un des grands acteurs de la vie artistique de son temps. L’artiste voit le jour le 17 mai 1861, à Nantes, où son père dirige une petite fabrique de métallurgie. Après ses études au lycée, en compagnie du futur écrivain Victor Michelet, il commence à peindre en 1879 sous la direction de deux peintres locaux : Alfred Leduc et Charles Le Roux qui l’initient à la peinture en plein air. Le destinant aux affaires, sa famille l’envoie en 1881, en Angleterre faire un stage chez un négociant de Liverpool. Il en profite pour visiter le Pays de Galles, et surtout l’Ecosse dont les paysages grandioses et torturés l’impressionnent vivement. C’est à cette époque qu’il vouera un culte à Turner qui l’éblouit par sa peinture claire et son sens de la lumière. De retour à Nantes en 1884, Maxime Maufra se met aux affaires tout en continuant à peindre directement sur les bords de la Loire. En 1886, il participe pour la première fois au salon des Artistes français avec deux toiles « inondations à Nantes » et « Bateau de pêche en haute île ». « Ni élève ni maître de personne » comme le décrivait le critique Octave Mirbeau, cet infatigable voyageur vagabonde autour de Nantes, sa ville natale. En 1889, Maufra abandonne le commerce et décide de se consacrer à la peinture. Il parcourt la Bretagne en solitaire ; de Paimpol à Loguivy où il se lie avec Rivière, en passant par Saint Michel en Grève, Locquirec, Lannion.
Son amour de la peinture en plein-air l’entraîne à Pont-Aven, à la rencontre des peintres de la génération qui suit les Impressionnistes. Une jeunesse qui va bouleverser les paysages bretons de l’éclat renversant de la couleur pure. Maufra pressent qu’il se passe là quelque chose d’important pour l’histoire de l’art, c’est à lui que l’on doit cette appellation qui fera mouche : L’Ecole de Pont-Aven. Emile Bernard, Seguin, Sérusier… tout n’est que causeries passionnées et exubérante joie de peindre. Ce solitaire fraternise avec Gauguin et sera l’un des rares auquel le « sauvage » donnera son amitié pour la vie, et qui estimera son art. Un après-midi de novembre 1893, il écrit dans son journal, « j’entendis frapper à la porte de mon atelier, je criai : « Entrez » et ma surprise fut grande de voir le grand diable de Paul Gauguin paraître sur le seuil de ma porte. Coiffé d’un bonnet d’astrakan, il semblait plutôt revenir des Pôles que des Tropiques. Sans me dire un mot, il entra et regardant les esquisses accrochées aux murs et quelques études à terre le long de la muraille, il s’exclama : « Je comprends que vous défendiez mon art, Maufra, mais bien que nous suivions une voie différente, la vôtre est bonne, continuez-la. Ces paroles firent l’effet du calumet de la paix chez les peaux-rouges. Nous nous étions compris, nous devenions amis et nous devions beaucoup nous voir, se souvient l’artiste-peintre.
Ce tableau vous fera évidemment penser au tableau célébrissime de Monet "La pie". Maufra le peindra trente ans plus tard.
G. Loiseau découvre Pont Aven en 1890. Il se montre peu réceptif à l'esthétique du groupe qu'il n'expérimentera que plus tard. Cette peinture atteste d'une touche rapide pour représenter le motif. Les cimes tronquées des arbres projettent des ombres colorées caractéristiques des impressionnistes.
Né à Paris, Gustave Loiseau passe son enfance à Pontoise. En 1880, il part pour Montmartre où il fait la connaissance de Fernand Quignon, qui lui apprend la peinture à laquelle il décide de se consacrer totalement dès 1887, suivant les cours de l'École des arts décoratifs.
À partir de 1890, sur les conseils de Fernand Quignon, Gustave Loiseau se rend tous les étés à Pont-Aven, séjournant à la pension Gloanec avec ses amis Maxime Maufra, Henry Moret et Émile Bernard. Paul Gauguin lui prodigue ses conseils.
Gustave Loiseau fait partie du courant postimpressionniste. Il a peint, directement dans la nature, de nombreuses scènes de vie rurale et de campagne.
Beaucoup de titres des œuvres présentées au Musée à l'occasion de l'exposition identifient ce rapport à l'éphémère. Ainsi, les œuvres portent dans leur titre l’univers recherché, tel que « brume », « effet de.. » « soleil couchant sur… »
Parmi les artistes, l’un d’eux traite particulièrement les effets de lumières dans ses toiles, c'est Ferdinand du Puigaudeau (1864-1930). Il affectionne les ambiances nocturnes. Ces œuvres aux atmosphères crépusculaires (feux d'artifice, couchers de soleil, fêtes foraines) révèle la vibration. L’artiste se concentre sur le rendu des clairs obscurs, joue des contrastes provoqués par les univers lumineux insolites, ce qui contribue à mettre en valeur les costumes ou les architectures. Il tente de concilier au sein d’une même oeuvre, les lumières artificielles et naturelles. Cet intérêt pour les éclairages étranges le rapproche de l’esthétique symbolique.
Issu d’une vieille famille bretonne et cousin de Chateaubriand, Du Puigaudeau fait partie de la génération des artistes venus après l’impressionnisme. L’école de Pont-Aven a été certainement déterminante dans l’œuvre de ce peintre, notamment à travers sa relation directe avec Gauguin. Il n’en reste pas moins que sa démarche picturale demeure très personnelle, son goût de l’indépendance et son tempérament l’empêchant d’être un simple admirateur.
Tout au long des sa vie, il fut inspiré par certains thèmes qui lui étaient propres, particulièrement des scènes nocturnes et lumineuses à la fois comme des feux d’artifices, des carrousels mais aussi des fêtes villageoises, des paysans au clair de lune, des marines à l’aube, des marais…
Et pour terminer cette après-midi au musée, après avoir longé les berges de l'Aven pour en admirer les eaux tumultueuses, nous avons conclu cette journée autour d'un bon thé et d'un kouign amann (il ne faut pas arrêter brusquement les substances illicites, cela pourrait être dangereux ! ). De bons produits et un accueil très sympathique au salon de thé de la boulangerie Keraval à noter dans vos tablettes !
Merci à ma chère A. d'avoir partagé cette visite avec moi !
Sources :
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane