Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
1 Juin 2025
En 1910, Cavafy publie un des poèmes phares de son œuvre, « Η Πόλις » [I Polis / La Ville]. Dans une première esquisse, il avait écrit : « Μισώ τον κόσμο εδώ και με μισεί εδώ που τη ζωή μου τη μισή επέρασα » [Je hais le monde ici et il me hait aussi, ici où j’ai passé la moitié de ma vie]. Dans la version publiée, ces paroles sont remplacées par : « Οπου το μάτι μου γυρισω, οπου κι αν δω ερείπια μαύρα της ζωής μου βλέπω εδω » [Où que je tourne mes yeux, où que je regarde, je vois les ruines noires de ma vie ici]. Cavafy finit par se rendre compte que son destin est inéluctablement et irrévocablement lié à celui de la ville qui l’a vu naître, malgré l’étroitesse des esprits caractérisant certains de ses concitoyens et leurs mœurs conservatrices. Désormais Alexandrie sera érigée en ville capitale de son œuvre, chef-lieu de son univers artistique.
Sources : Le carreau de la Bulac
Η Πόλις
Είπες·«Θα πάγω σ’ άλλη γη, θα πάγω σ’ άλλη θάλασσα.
Μια πόλις άλλη θα βρεθεί καλλίτερη από αυτή.
Κάθε προσπάθεια μου μια καταδίκη είναι γραφτή·
κ’ είν’ η καρδιά μου — σαν νεκρός — θαμένη.
Ο νους μου ως πότε μες στον μαρασμόν αυτόν θα μένει.
Όπου το μάτι μου γυρίσω, όπου κι αν δω
ερείπια μαύρα της ζωής μου βλέπω εδώ,
που τόσα χρόνια πέρασα και ρήμαξα και χάλασα.»
Καινούριους τόπους δεν θα βρεις, δεν θά βρεις άλλες θάλασσες.
Η πόλις θα σε ακολουθεί. Στους δρόμους θα γυρνάς
τους ίδιους. Και στες γειτονιές τες ίδιες θα γερνάς·
και μες στα ίδια σπίτια αυτά θ’ ασπρίζεις.
Πάντα στην πόλι αυτή θα φθάνεις. Για τα αλλού — μη ελπίζεις—
δεν έχει πλοίο για σε, δεν έχει οδό.
Έτσι που τη ζωή σου ρήμαξες εδώ
στην κώχη τούτη την μικρή, σ’ όλην την γη την χάλασες.
La Ville
Tu as dit : « J'irai par une autre terre, j'irai par une autre mer.
Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci.
Chaque effort que je fais est condamné d'avance ;
et mon cœur — tel un mort — y gît enseveli.
Jusqu'à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme ?
Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard,
je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie
dont après tant d'années je n'ai fait que ruines et gâchis ».
Tu ne trouveras pas d'autres lieux, tu ne trouveras pas d'autres mers.
La ville te suivra partout. Tu traîneras
dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers ;
c'est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs —n'y compte pas—
il n'y a pour toi ni chemin ni navire.
Pas d'autre vie : en la ruinant ici,
dans ce perdu, tu l'as gâchée sur toute la terre.
1910
C. Cavafy traduit par Dominique Grandmont,
in En attendant les barbares et autres poèmes, Gallimard, 2008, p.53.
Ci-après le poème mis en musique...
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