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Souvenirs illustrés de petits moments, musiques, lectures, expositions, balades....qui font le sel de la vie !

Poésie de Nikos Kavvadias - Lettre de Marseille - Γράμμα απ' τη Μαρσίλια

Le port de Marseille - Albert Marquet

Le port de Marseille - Albert Marquet

Michel Volkovitch, son traducteur, nous présente Nikos Kavvadias :


"Nìkos Kavvadìas était marin, il a passé sa vie sur les bateaux, longues traversées, longues heures d'ennui, pourquoi diable a-t-il si peu écrit ? Le lecteur français a déjà pu lire son œuvre en prose : un récit, Le quart (beau succès de librairie), un mince recueil de nouvelles, point final. Quant au lecteur grec, qui connaît surtout le poète, qu'a-t-il à se mettre sous la dent ? Trois minces recueils, cinquante-deux poèmes écrits sur plus de quarante années, soit une page et demie par an.

Kavvadìas le poète occupe en Grèce une place à part : dédaigné par les doctes (les trois grandes histoires de la littérature grecque — celles de MM. Dimaras, Vitti et Polìtis — l'expédient en quelques lignes), il a été très tôt reconnu par ses pairs, et aussi par un large public. Ses poèmes se vendent, ils sont mis en musique, appris par cœur, et l'admiration qu'ils suscitent s'accompagne d'une profonde affection. Kavvadìas, là-bas, fait partie de la famille.

Ceux d'entre nous qui ont subi l'envoûtement du Quart se sentiront chez eux dans ces poèmes : on y retrouve partout la mer, les ports et les rafiots plus ou moins pourris, cette vie que Kavvadìas aima autant qu'il la détesta. On y est ébloui par les mêmes visions, imprégné par la même fièvre, tantôt bercé, tantôt secoué par la même houle, la même oscillation entre réel sordide et fantasmagorie, émerveillement et amertume, humour et désespoir. L'errance du marin devient ici l'image de la condition humaine, dans son éternelle ambivalence — une image violente et changeante comme la mer.

L'opus 1 de Kavvadìas, dont voici quelques poèmes, est l'œuvre prometteuse d'un jeune homme de vingt-trois ans, petit-neveu de Baudelaire et cousin de Mac Orlan. Ce Marabout est resté son recueil le plus populaire ; le moins original, encore tout imprégné de pittoresque, et pourtant, presque partout, sous les figures obligées de l'exotisme, on sent poindre la plus sincère émotion. Ce qui fait le charme de Kavvadìas, et sa force, est déjà là : on ne sait jamais s'il pleure ou s'il rit. (Les deux en même temps, sans doute.) C'est cette hésitation perpétuelle entre sérieux et jeu, spleen et sourire, flots lourds et vent léger, qui fait miroiter ses poèmes comme la surface des eaux.

Traduire Kavvadìas, c'est d'abord se rappeler que la poésie est d'abord musique, et que la forme chez lui, plus encore que chez d'autres poètes, ajoute au sens. Une traduction qui ne suivrait pas les mouvements de roulis du poème grec perdrait du même coup une bonne moitié de la cargaison. Je me devais donc de transposer ces vers en vers.

L'art du vers, technique un peu oubliée, dont on s'exagère la difficulté, n'exige qu'un grand amour du rythme et un petit tour de main. J'éprouve à versifier des voluptés d'artisan patient. Mais je triche un peu. Respectant les règles essentielles du vers classique (rythme et rimes réguliers, alternance féminines / masculines), j'ai lâché du lest sur certains points : accord singulier / pluriel à la rime (cette règle-là n'étant faite que pour l'œil) ; élision possible après une ponctuation («gris, bleus, mauv(es) — et alors, comme le monde est loin !») ; e muets après césure («Une petite chambre sale aux murs sordides») ; coupes un tantinet relâchées («C'est de l'opium ! Elle en fume depuis toujours», 4+3+5).

Quant aux rimes... Au lieu des pauvres miennes, imagine-toi, Lecteur, des riches et flambantes comme celles de la V.O. !


*

Nìkos Kavvadìas


Né en Mandchourie en 1910.

Enfance et adolescence à Céphalonie, puis au Pirée.

1929 : commence à naviguer.

1939 : diplôme de radio-opérateur.

1940 : mobilisé, envoyé sur le front albanais.

1945 : reprend la mer, jusqu'à sa mort.

1975 : meurt d'une attaque.

A publié trois recueils de poèmes : Marabout (1933), Brume (1947), Traverso (1975), un récit : Le quart (1954) et trois nouvelles.


En français :

Le quart (Climats, 1989 ; 10/18, 1994, trad. Michel Saunier).

Li (Climats, 1990, trad. Michelle Barbe).

Sept poèmes tirés des deux derniers recueils ont été publiés dans l'Anthologie de la poésie grecque contemporaine, Gallimard, 2000, trad. M.V."


 

Γράμμα απ' τη Μαρσίλια

 

Έσχισα, φίλε μου, πολλά χαρτιά για να σου γράψω.
Εδώ η Μαρσίλια μ'έκαμε πολύ να ζαλιστώ,
κι όμως δεν πέρασε στιγμή, πιστέφτε, αγαπητέ μου,
χωρίς και μες στη ζάλη μου να σας συλλογιστώ.

Σας εσκεφτόμουν στο Μπουλβάρ ντε Νταμ σαν περπατούσα
ανάμεσα σε δυο τροτέζ που έκαναν σαν τρελές,
ενώ μιλώντας δυνατά τριγύρω μου περνούσαν
άνθρωποι απ' όλες, θα 'λεγες, του κόσμου τις φυλές.

Κι έπειτα πάλι στη μεστή από κόσμο Κανναμπιέρα,
στο Πόρτο Βέκκιο, στην τεφρήν οδό Σαιντ Ονορέ,
κι ακόμα, συγχωρήστε με, σας ένιωθα μαζί μου
στα θορυβώδη και γιομάτα κόσμο καμπαρέ.

Βορινοί ναύτες μπλέκονται με θερμαστές του Νότου,
στα γόνατά τους κάθονται κορίτσια της δουλειάς,
παίζει το πιάνο μοναχό και μια μικρή σφυρίζει
έναν παράταιρο σκοπό μιας μελωδίας παλιάς.

Κι ύστερα σαν απ' το Ταρτάν εβγήκα μεθυσμένος
και νόμιζα το σώμα μου ανάξιο και μικρό,
πολύ κοντά σας ένιωθα να μου χαμογελάτε
μ' εκείνο το παράξενο το γέλιο, το πικρό.

Και μόνον όταν στην Κορνίς, σε κάποιο γκρίζο σπίτι,
γύρω από εβραίους που 'χανε με γυναικεία ντυθεί,
σας έχασα για μια στιγμή απ' τα μάτια μου, μου εφάνη
ο φύλακας μου άγγελος πως είχε πια χαθεί.

Αύριο φεύγω και μαζί μου φέρνω στην Αθήνα
ανάμνησες παράξενες, πολλές, με το σωρό
και κάποιο δώρο θλιβερό, προϊόν της Μασσαλίας,
που μια Πωλίν μου χάρισε προχθές στα Numeros...     


 Νίκος Καββαδίας,
  In Μαραμπού, 1933

 

En t'écrivant j'ai déchiré page sur page,

ami très cher. Ce port m'a donné le tournis,

mais sois-en sûr : malgré tout ce remue-ménage,

par la pensée nous demeurons toujours unis.


Car j'ai pensé à vous le long du Boulevard

des Dames, accompagné de deux putes pompettes,

alors que bruyamment passaient sur le trottoir

des gens venus des quatre coins de la planète ;


Puis de nouveau dans la grouillante Canebière,

puis rue Saint-Honoré, puis au Vieux-Port, la nuit,

ainsi — pardonnez-moi — que dans la pétaudière

des caf'conc' où la foule se presse à grand bruit.


Là-bas, marins du nord, soutiers du sud se frottent

aux dames de l'endroit montées sur leurs genoux ;

le piano joue tout seul, une fille sifflote

un refrain essoufflé qui fut jeune avant nous.


Plus tard, à la sortie du Tartan, bien cuité,

me sentant plus indigne et nul que de coutume,

il m'a semblé vous voir, tout proche, à mon côté,

esquissant un sourire à l'étrange amertume.


Ce n'est qu'à la Corniche, en un bouge perdu,

près de Juifs habillés en femmes, que la frousse

m'a saisi : un instant sans vous voir, j'ai bien cru

que mon ange gardien avait filé en douce.


Demain je lève l'ancre, emportant vers Athènes

un tas de souvenirs étranges, et le cœur gros

du cadeau désolant — coutume phocéenne —

que Pauline me fit dimanche aux Numéros...

                  
 In Marabout (1933)
Traduction : Michel Volkovitch

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