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Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.

Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes - Louis Aragon - Hommage aux Manouchian

À l'occasion des 80 ans de son exécution, le 21 février 1944, le résistant d'origine arménienne Missak Manouchian entre au Panthéon, accompagné de son épouse Mélinée.

Portrait réalisé par l'artiste C215 pour l'Humanité et Portrait de Mélinée
Portrait réalisé par l'artiste C215 pour l'Humanité et Portrait de Mélinée

Portrait réalisé par l'artiste C215 pour l'Humanité et Portrait de Mélinée

Strophes pour se souvenir


Vous n'avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant.

 

Louis Aragon, Le Roman Inachevé

 

LE MIROIR ET MOI

Dans tes yeux de la fatigue et sur ton front tant de rides,
Parmi tes cheveux les blancs, vois, tant de blancs camarade…
Ainsi me parle souvent l'investigateur miroir
Toutes les fois que, muet, je me découvre seul en lui.

Tous les jours de mon enfance et les jours de ma jeunesse
Je – cœur parfois tout disjoint – les brimais pour l'holocauste
Sur l'autel des vanités tyranniques de ce temps,
Naïf – tenant pour abri l'espoir tant de fois promis.

Comme un forçat supplicié, comme un esclave qu'on brime
J'ai grandi nu sous le fouet de la gêne et de l'insulte,
Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème…
Quel guetteur têtu je fus des lueurs et des mirages !

Mais l'amertume que j'ai bue aux coupes du besoin
S'est faite – fer devenue – que révolte, qu'énergie :
Se propageant avec fureur mon attente depuis
Enfouie jusqu'au profond du chant m'est cri élémentaire.

Et qu'importe, peu m'importe :
Que le temps aille semant sa neige sur mes cheveux !
Cours fertile qui s'élargit et qui s'approfondit
Au cœur de toute humanité très maternellement.

Et nous discutons dans un face-à-face, à "contre-temps",
Moi naïvement songeur, lui ironique et lucide;
Le temps ? Qu'importe ce blanc qu'il pose sur les cheveux :
Mon âme comme un fleuve est riche de nouveaux courants.

 

Missak Manouchian

 

 

Traduction de l'arménien par Gérard HEKIMIAN
Source: LA POESIE ARMENIENNE
Anthologie des origines à nos jours
Réalisée sous la direction de Rouben Mélik
Les Editeurs Français Réunis
21, rue de Richelieu – Paris 1er

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