Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
8 Novembre 2019
"A l’été 1900, Giacomo Puccini se trouve à Londres pour la création anglaise de Tosca. Après l’immense succès de ces deux chefs-d’œuvre les plus populaires, La Bohème (1896) et Tosca (1900), il s’est définitivement imposé comme le nouveau maître de l’opéra italien. A 42 ans Puccini symbolise le renouveau de l’art lyrique dont il a repris le flambeau après la disparition du maestro Giuseppe Verdi mort en 1901. Le compositeur est à la recherche d’un nouveau sujet d’opéra quand il assiste à la représentation en anglais de la pièce de David Belasco (1853-1931) tirée d’une nouvelle de John Luther Long (1861-1927). Puccini ne pratique pas l’anglais et ne comprend presque rien aux dialogues. Mais il est ému aux larmes par le drame dont il ressent tout l’impact émotionnel grâce à la limpidité et à la force de l’intrigue. Les souffrances et le destin pitoyable de Madame Butterfly touchent Puccini au plus profond de lui-même et la captivante magie du décor exotique l’éblouit et le fascine. Il supplie Belasco de l’autoriser à adapter Madame Butterfly à l’opéra. Belasco confia ensuite : « J’acceptai aussitôt (…) Car il n’est pas permis de discuter affaires avec un Italien impulsif qui a les larmes aux yeux et les deux bras autour de votre cou.»
"Malgré un travail minutieux et la confiance de Puccini en sa nouvelle héroïne, la création le 17 février 1904 à la Scala est un échec plus que cuisant. C’est le plus grand fiasco de toute la carrière du compositeur…
On reproche entre autres à Puccini la construction en deux actes, qui les fait chacun beaucoup trop long. Puccini remet donc l’ouvrage sur le métier, procède à un certain nombre de coupures, reconstruit l’œuvre en trois actes, ajoute une romance pour le ténor – et quand il redonne sa Butterfly à Brescia le 28 mai 1904, c’est un triomphe qui ne se démentira jamais plus. Puccini est rappelé dix fois sous les acclamations du public enfin conquis. L’ouvrage sera donné dans le monde entier. La liste des interprètes du rôle-titre comprend toutes les plus grandes sopranos : Toti dal Monte, Renata Tebaldi, Victoria de Los Angeles, Maria Callas, Renata Scotto, Raina Kabaivanska (qui incarna Cio-Cio-San plus de trois cent fois), sans oublier Mirella Freni !...
Si Madame Butterfly est aujourd’hui aussi populaire que Tosca ou La Bohème, c’est aussi une œuvre largement novatrice. On y trouve une écriture très dense, avec des couleurs orientales qui sans être trop soulignées sont toutefois très documentées. La modernité se manifeste aussi par un chœur « à bouche fermée » d’une rare originalité et par la volonté de dérouler l’œuvre comme une longue conversation, avec un seul « grand air », Un bel di, vedremo, qui s’inscrit naturellement dans le cours de l’action. Cet air superbe, à la ferveur lyrique exceptionnelle, exprime avec une rare puissance théâtrale le rêve intérieur de la jeune femme, ce désir intime qui est devenu une conviction et en même temps une obsession amoureuse et folle.
Puccini évoque ainsi un Extrême-Orient tantôt mystérieux et inquiétant, tantôt séduisant et captivant en renouvelant son inspiration aux sources du « japonisme ». Présentant plus qu’une opposition entre une naïve petite japonaise et un officier américain dominateur et sans scrupule, Madame Butterfly est aussi une sorte de synthèse musicale. Le langage musical de Puccini a évolué depuis Tosca et son écriture orchestrale trouve là de quoi prolonger musicalement l’intensité théâtrale dont la puissance lyrique exprime au plus juste la profondeur de Butterfly."
Sources : Extraits de Pour aller plus loin le texte publié par Catherine Duault
Résumé de l'opéra :
L’action se déroule au Japon, dans la baie de Nagasaki, vers 1900. L’officier américain Pinkerton découvre sa future épouse Cio-Cio San – dite Madame Butterfly – geisha de quinze ans dont la famille réprouve le mariage. Sharpless, le consul des Etats-Unis, déconseille cette union à Pinkerton. Toutefois, le soir de leurs noces, Pinkerton embrase le cœur de la jeune fille, qui répond à son amour avec timidité avant de se donner ardemment à lui. Trois années passent. Rentré aux Etats-Unis, Pinkerton n’a donné aucune nouvelle à Butterfly, qui ne cesse d’attendre son retour, persuadé que l’officier viendra la retrouver… et découvrir l’enfant qu’elle a eu de lui. Sharpless, qui sait que Pinkerton a refait sa vie dans son pays et s’est marié, demande à Butterfly ce qu’elle ferait s’il ne revenait jamais. Elle se tuerait, répond la geisha. C’est le geste fatal qu’elle commettra en découvrant la vérité, lors du retour tardif mais tellement attendu de Pinkerton, venu chercher son enfant en compagnie de son épouse américaine.
Le Met a mis en ligne deux vidéos, nous offrant un aperçu de la mise en scène évoquée dans la critique du Operawire ici
L'aria le plus connu : "un bel di, vedremo" est accessible sur youtube dans de nombreuses versions. Je vous ai choisi deux versions, celles de Tebaldi et de la Callas, qu'on a si souvent comparées et opposées.
Un bel dì, vedremo
levarsi un fil di fumo
sull'estremo confin del mare.
E poi la nave appare.
Poi la nave bianca
entra nel porto,
romba il suo saluto.
Vedi? È venuto!
Io non gli scendo incontro. Io no.
Mi metto là sul ciglio del colle e aspetto,
e aspetto gran tempo
e non mi pesa,
la lunga attesa.
E uscito dalla folla cittadina,
un uomo, un picciol punto
s'avvia per la collina.
Chi sarà? chi sarà?
E come sarà giunto
che dirà? che dirà?
Chiamerà Butterfly dalla lontana.
Io senza dar risposta
me ne starò nascosta
un po' per celia
e un po' per non morire
al primo incontro;
ed egli alquanto in pena
chiamerà, chiamerà:
"Piccina mogliettina,
olezzo di verbena"
i nomi che mi dava
al suo venire.
(a Suzuki)
Tutto questo avverrà,
te lo prometto.
Tienti la tua paura,
io con sicura fede l'aspetto.
Si vous souhaitez lire le livret avant de regarder l'opéra, le pdf est ci-après.
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane