Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
4 Janvier 2020
Radiographie glaçante d’un drame, regard aigu sur un désespoir abyssal, Wozzeck est l’opéra emblématique des années 1920 ; celui qui dit et anticipe comme nul autre le mal- être et le néant du XXème siècle, avec le sang et la mort qui rôdent, un misérabilisme humain tenu par une musique économe d’effets et hautement pensée, dont l’émotion serre la gorge. Aux sources de l’ouvrage : une pièce aussi terrifiante dans son récit que révolutionnaire dans sa construction signée Georg Büchner, basée sur un fait divers réel. En l’adaptant, Berg conçoit une architecture infaillible qui adopte, pour chaque scène, une forme musicale stricte – Rhapsodie, Scherzo, etc. Pour autant, rien d’autre que « l’idée de l’opéra, transcendante, du destin individuel de Wozzeck » ne doit absorber le spectateur, indique Alban Berg, l’invitant à oublier « ces diverses fugues et inventions, suites et sonates, variations et passacailles ». Pour mieux se livrer corps et âme à ce chef-d’œuvre expressionniste dont on ressort transformé.
Avant d'aller plus avant, je vous propose de regarder ce documentaire proposé par la BBC.
A l'époque où j'ai suivi les cours d'histoire de la musique de G. Kosmicki, j'avais eu un premier aperçu de l'oeuvre de A. Berg avec une introduction à l'école de Vienne. Alban Berg s’impose comme l’un des précurseurs les plus importants de la musique contemporaine. Il adopte successivement l’atonalisme et le dodécaphonisme. Formé par Arnold Schönberg, il est avec Anton Webern à l’origine de la Seconde Ecole de Vienne, en référence à la première composée de Haydn, Mozart et Beethoven. Son exploration musicale atteint la limite du sérialisme.
La Grande Guerre occupe le musicien de 1915 à 1918 (il sert dans l’armée autrichienne) mais il profite d’une permission en 1917 pour commencer à écrire son premier opéra, Wozzeck, d’après la pièce de Büchner à laquelle il a assisté en 1914. Il reprend l’écriture de la partition en 1921 et la termine à la mi-octobre. Quelques extraits (en 1924) rencontrent le premier succès public de Berg ; l’opéra ne sera entièrement représenté que le 14 décembre 1925 par Erich Kleiber à Berlin : c’est un véritable succès qui permet à Berg de s’installer définitivement dans le monde musical.
Alban Berg est un être et un musicien complexe et plein de contradictions : il est attaché au passé mais il ouvre les voies de la musique nouvelle ; il est fasciné par la pourriture et la prostitution, mais il a le goût de l’ordre. Dans sa musique, il compense les débordements expressionnistes par le recours à la numérologie et par de constantes références aux formes anciennes qui servent de carapaces à ses recherches. Ainsi, il fait entrer chaque scène de son opéra Wozzeck (1917-1922) dans une structure précise : fugue, passacaille, sonate, scherzo, rondo, invention sur 1 seule note...
Ci-dessous une version dirigée par C. Abbado à l'Opéra de Vienne
Résumé
Au XIXème siècle, dans une ville militaire et dans ses environs. Le soldat Wozzeck est humilié par son Capitaine, qui lui reproche d’avoir eu un enfant avec Marie sans être marié. Le caractère sombre et inquiet de Wozzeck se double d’une hantise du crépuscule, dans lequel il entrevoit des images de mort et de fin de monde. Marie, angoissée par ces visions, se détache peu à peu de Wozzeck et se jette dans les bras du Tambour-Major, qui la séduit grossièrement. Après s’être vanté de sa « prise » à Wozzeck, le Tambour-Major roue de coups le misérable soldat, qui souffre encore de devoir se plier à des expériences avec un Docteur qui n’éprouve que mépris pour lui. Lorsque Wozzeck retrouve Marie, la jeune femme est remplie de remords ; le soldat l’entraîne près d’un lac et la poignarde. L’arme du crime disparue, Wozzeck s’enfonce dans l’eau sombre de l’étang et s’y noie, sans susciter la moindre compassion du Docteur et du Capitaine qui passent par là. La mort de Marie laissera son enfant tout aussi interdit.
Comme souvent Operaonline nous propose d'aller plus loin dans l'analyse de l'oeuvre.
La distribution de ce soir :
Peter Mattei (Wozzeck)
Elza van der Heever (Marie)
Christopher Ventris (le Tambour-Major)
Christian Van Horn (le Docteur)
Gerhard Siegel (le Capitaine)
Andrew Staples (Andres)
Tamara Mumford (Margret)
William Kentridge, mise en scène
Choeur etOrchestre du Metropolitan Opera de New-York
Direction : Yannick Nézet-Séguin
Afin de vous convaincre définitivement d'aller voir cet opéra samedi 10 janvier dans vos salles de cinéma, je vous invite à écouter un extrait de l'émission consacrée au chef Y. Nezet Séguin par France Musique, et en particulier à Wozzek !
et la chronique de ce matin annonçant la diffusion sur FM de l'opéra, pour ceux qui ne pourraient se rendre au cinéma ce soir.
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