Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
3 Avril 2021
Une petite pause poétique dans ce flot de musique grecque avec un poème de Miltos Sakhtouris, que nous présente M. Volkovitch :
"Miltos Sakhtoùris (1919-2005) n'a jamais voyagé, n'a jamais eu de métier. Son seul travail, sa seule aventure a été la poésie.
Issu du surréalisme, comme bien des jeunes poètes grecs de l'époque, Sakhtoùris a bientôt - non moins normalement - acquis son indépendance. Quelque chose, pourtant, lui est resté des Surréalistes : son oeuvre, d'une rare continuité, est toute entière envahie par les images, qui par leur déchaînement continu, leur violence, installent dans ces pages un climat de cauchemar.
La poésie de Sakhtoùris est en même temps orgie et ascèse. Ses images obsessionnelles, cruelles, atteignent au plus grand dépouillement. Peu de couleurs: avant tout, le blanc, le noir, le rouge. Peu de motifs, passant par d'infinies métamorphoses.
«Ma poésie, dit Sakhtoùris, est une incessante autobiographie, elle ressemble - et c'est ainsi qu'elle doit se lire - à une sorte de journal inconscient de ma vie...» Mais on aurait tort de voir dans ce poète un créateur autiste, muré dans ses visions. La souffrance qui sourd de ses premiers recueils est aussi, pour une bonne part, historique : la Grèce connut alors une guerre mondiale et surtout une guerre civile, plus atroce encore.
On peut s'étonner de ce que cette poésie si noire soit si peu déprimante au fond. J'ai connu quelqu'un qui ne pouvait lire qu'elle dans les moments de cafard. «Mes poèmes ne sont pas pessimistes dit Sakhtoùris. Au contraire ils sont comme les exorcismes. Ils exorcisent le mal. Ils ressemblent à des masques africains. Des masques d'animaux et d'ancêtres pour exorciser la mort.»
Ces poèmes ont la force élémentaire, la rudesse des rituels archaïques. Il suffit d'entendre le poète les lire, les marteler d'une voix impassible, pour éprouver toute leur magie.
Sakhtoùris le sorcier manie les substances à l'état pur, actives, dangereuses, mais parfaitement dosées. Si cette poésie soigne et console, c'est qu'elle sait plonger jusqu'au fond de la douleur de vivre pour en extraire l'un des vaccins poétiques les plus forts.
Sakhtoùris est reconnu, chez lui du moins, comme l'un des très grands. Demandez à un jeune poète grec lequel de ses compatriotes vivants l'a davantage influencé: ce sera souvent - plus encore qu'Elỳtis, poète solaire - le sombre et solitaire Sakhtoùris."
Η σκηνή
Απάνω στο τραπέζι είχανε στήσει
ένα κεφάλι από πηλό
τους τοίχους τούς είχαν στολίσει
με λουλούδια
απάνω στο κρεβάτι είχανε κόψει από χαρτί
δυο σώματα ερωτικά
στο πάτωμα τριγύριζαν φίδια
και πεταλούδες
ένας μεγάλος σκύλος φύλαγε
στη γωνιά
Σπάγγοι διασχίζαν το δωμάτιο απ’ όλες
τις πλευρές
δε θα ’ταν φρόνιμο κανείς
να τους τραβήξει
ένας από τους σπάγγους έσπρωχνε τα σώματα
στον έρωτα
Η δυστυχία απέξω
έγδερνε τις πόρτες
LA SCÈNE
Sur la table on avait posé
une tête en argile
aux murs on avait mis
des fleurs
sur le lit taillés dans le papier deux corps
prêts à l'amour
sur le sol couraient des serpents
des papillons
un grand chien montait la garde
dans un coin
Des fils traversaient la chambre
en tous sens
il était imprudent
de les tirer
l'un de ces fils poussait les corps
à l'amour
Dehors le malheur
battait les portes
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane