Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
23 Janvier 2017
En route vers Kerfissien, je fais une petite halte sur demande de mon amie M. à l'enclos de Saint Servais. Aujourd’hui, l’enclos de Saint- Servais est dominé par la figure de Yan’ Dargent (1824-1899), un enfant du pays qui fit à Paris une carrière de peintre et d’illustrateur tout en restant toujours très attaché au lieu de sa naissance. L’intérieur de l’église et l’ossuaire sont devenus l’écrin de plusieurs de ses oeuvres (peintures et vitraux), soit qu’il les ait réalisées spécialement pour Saint-Servais, soit qu’elles aient été acquises après sa mort.
À la faveur de la prospérité, on dressa un clocher, à double galerie comme il convient en Léon. Puis on restaura le calvaire, on approfondit le choeur et on construisit un ossuaire (1643) dont la porte arbore un décor remarquable, mêlant les motifs de la Renaissance – entrelacs, fuseaux, grotesques – aux premiers angelots baroques
Edouard Yan’ Dargent est né le 15 octobre 1824, dans le département du Finistère, à Saint-Servais.
Quand vint le moment de choisir une carrière, le grand-père de Yan'Dargent voulut faire de son petit-fils un marin, mais Yan’ Dargent ne se sentit pas destiné au rôle de navigateur : il s'adonna alors principalement aux mathématiques et au dessin. Après de brillants examens, il fut admis dans l'administration des ponts et chaussées, puis il passa dans le service des chemins de fer. En 1846, il était à Troyes, comme inspecteur des travaux à la construction du chemin de fer de Montereau, lorsqu'un professeur du collège du nom de Schitz, éveilla chez le jeune fonctionnaire la première étincelle de sa vocation : ils allaient tous deux, épris de la nature, dessinant ensemble dans la campagne. C'est alors qu’il se fit connaître de quelques amis comme dessinateur habile.
Bientôt, sur les instances réitérées de M. Furne, fils de l'éditeur, qui avait deviné son talent, Yan’ Dargent quitta définitivement l'administration. Vers 1850, il vint se fixer à Paris, où se fait la consécration de tous les talents et, se sentant irrésistiblement appelé, il affronta la périlleuse carrière de l'art sans passer par aucun atelier. Il conquit rapidement sa place comme dessinateur d'illustration, à côté de Gustave Doré, avec des qualités de sentiment, de grâce et de variété dans l'invention et la composition qui manquaient à son heureux émule
Puis en 1861 il acquiert la célébrité : Théophile Gautier remarque son fameux tableau : "Les lavandières de la nuit". Il écrit un article élogieux à son sujet et aussitôt une foule de journalistes se précipite afin d'interviewer l'artiste ! Malheureusement ce succès n'eut pas de suites, mais Yan' Dargent trouva dans l'illustration du livre une ressource salvatrice qui le dispensa de vendre ses toiles.
L'histoire posthume de Yan' Dargent est un événement sans pareil qui lui valut une notoriété superieure à celle qu'il connut au cours de son existence !
En effet , peu avant sa mort, Yan' Dargent, agonisant, exprima deux souhaits :
-être enterré à Saint-Servais, ce qui ne posa aucun problème.
-mais il désira également que sa tête rejoigne les ossements de sa mère et de ses grands-parents dans l'ossuaire, ce qui était une pratique courante à cette époque. Pour cela, les descendants devaient attendre un délai de cinq ans.
Le 8 octobre 1907, Ernest Yan' Dargent fait ouvrir le cercueil de l'artiste afin de procéder à la cérémonie en présence de l'abbé Guivarc'h. Mais après huit ans le corps de Yan' Dargent est encore intact ! L'abbé est obligé de trancher la tête de l'artiste. Celle-ci est ensuite placée dans une boite en zinc dans l'ossuaire où elle se trouve toujours. Mais la famille née du second mariage de Claude Dargent porte plainte contre Ernest Yan' Dargent et l'abbé Guivarc'h pour violation de sépulture : "Monsieur Yan' Dargent (...) vient d'être exhumé il nous semble hors la loi. Le corps étant dans un cercueil plombé ne devrait, croyons-nous, être touché : il y aurait de ce fait sacrilège. Le corps n'étant pas tout à fait décomposé, de ce fait la tête, on l'a tranchée pour la mettre dans une caisse en zinc avec les restes de son grand-père et de sa mère. Le corps est donc resté dans la terre. Cette lugubre cérémonie s'est déroulée sous les yeux de son soi-disant fils qi n'a pas tous les droits dont il veut disposer. Nous réclamons justice (...)".
Le procès a lieu le 26 juin 1908 : "Il n'y a eu ni faute ni intention de faute ". Le tribunal correctionnel de Morlaix renvoie les accusés des fins de la plainte, sans dépens.
Malheureusement , Ernest Yan' Dargent meurt quatre jours plus tard, tué par le choc. Comme il n'avait pas d'enfant, la descendance directe de Yan' Dargent s'éteint.
Pour découvrir l'intérieur de l'église et de l'ossuaire, il faudra attendre l'été prochain peut-être avec le concours des guides de la Sprev.
Source : infobretagne.com
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