Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
18 Décembre 2021
Poésie espagnole avec un texte d'Antonio Machado.
Antonio Machado naît à Séville en juillet 1875, d’un père universitaire ; son frère Manuel est né en 1874 ; deux autres suivront.
Durant les premières années de l’enfant se succèdent une république, puis une restauration très conservatrice, le règne d’Alphonse XII.
En 1883, la famille Machado part à Madrid. Antonio étudie à l’Institut libre d’enseignement, école privée fondée en réaction contre la persécution des conservateurs contre les professeurs libéraux.
En 1898 éclate la guerre contre les USA ; en mai, la flotte espagnole est coulée aux Philippines, en juillet à Cuba. L’Espagne doit renoncer en décembre à ses dernières colonies, Cuba, Porto Rico, les Philippines, les îles Carolines, Mariannes et Palaos. C’est la fin d’un gigantesque empire colonial, réduit à quelques confettis.
Cette humiliation donnera naissance à la « génération de 1898 », autour de Miguel de Unamuno. Machado lui restera constamment fidèle, jusqu’à sa mort.
Un loco
Es una tarde mustia y desabrida
de un otoño sin frutos, en la tierra
estéril y raída
donde la sombra de un centauro yerra.
Por un camino en la árida llanura,
entre álamos marchitos,
a solas con su sombra y su locura
va el loco, hablando a gritos.
Lejos se ven sombríos estepares,
colinas con malezas y cambrones,
y ruinas de viejos encinares,
coronando los agrios serrijones.
El loco vocifera
a solas con su sombra y su quimera.
Es horrible y grotesta su figura;
flaco, sucio, maltrecho y mal rapado,
ojos de calentura
iluminan su rostro demacrado.
Huye de la ciudad… Pobres maldades,
misérrimas virtudes y quehaceres
de chulos aburridos, y ruindades
de ociosos mercaderes.
Por los campos de Dios el loco avanza.
Tras la tierra esquelética y sequiza
?rojo de herrumbre y pardo de ceniza?
hay un sueño de lirio en lontananza.
Huye de la ciudad. ¡El tedio urbano!
?¡carne triste y espíritu villano!?.
No fue por una trágica amargura
esta alma errante desgajada y rota;
purga un pecado ajeno: la cordura,
la terrible cordura del idiota.
UN FOU
C’est un soir morne et insipide
d’un automne sans fruit sur la terre
stérile et râpée
où erre l’ombre d’un centaure.
Par un chemin de la plaine aride,
entre des peupliers flétris,
tout seul avec son ombre et sa folie,
s’en va le fou, discourant à grands cris.
On voit au loin de sombres champs de cistes,
des collines couvertes de buissons et de ronces,
et des ruines d’anciennes chênaies
couronnant les aigres sommets.
Le fou vocifère,
tout seul avec son ombre et sa chimère.
Sa silhouette est horrible et grotesque ;
maigre, sale, dépenaillé et mal rasé,
des yeux de fièvre
illuminent un visage creusé.
Il fuit la ville… Pauvres vices,
misérables vertus et misérables lâches
d’employés ennuyés, dérisoires bassesses
de marchands oisifs.Sur les champs de Dieu le fou s’avance.
Au-delà de la terre squelettique et sèche
— rouge de rouille et gris de cendre —
il y a au loin un songe d’iris.
— la chair triste et l’esprit grossier ! —
Aucune tragique amertume
n’a déchiré, brisé cette âme errante ;
elle expie le péché d’autrui : la sagesse,
la terrible sagesse de l’idiot.
Antonio Machado, poèmes extraits des Champs de Castille, Poésie/Gallimard, 2008
Trad. Sylvie Léger & Bernard Sesé
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