Sous la pluie silencieuse de Claude Vigée

Il y a chez Claude Vigée cette lumière grave des saisons finissantes, cette fidélité à la vie malgré la boue, la nuit, le deuil. Poète d’Alsace et de Jérusalem, il n’a cessé de relier la glaise et l’infini, de chanter la mémoire des commencements et la persistance du souffle humain. Être poète, pour lui, c’était demeurer vivant : non pour conjurer la mort, mais pour témoigner que la création n’est pas achevée.
Fidèle à ses racines, traversé de spiritualité et d’espérance, il sut « danser sur l’abîme » et rire en pleurs comme Mozart, fidèle aux hommes et à leur fragilité.

À l’heure où tombent les feuilles et les pluies, on entend résonner sa petite musique d’automne, humble et poignante :

Petite musique d’automne

On va chiper des pommes
on va gauler des noix,
par-dessus les rigoles
les chats font de grands sauts ;
raidissant leurs pattes mouillées
les chiens transis marchent sur des échasses,
dans les fossés pleins d’eau hoquettent
de bonheur les derniers crapauds :
l’averse tombe des nuits entières
sur le sol gras du cimetière –
silencieusement il pleut, l’automne,
dans la bouche des jeunes morts…

(Extrait de Aux portes du labyrinthe, Flammarion, 1996)

Herbschtliedel

Epfel schdripse,
nusse gràche,
d’kàtze hüpse
éwer d’làche,
schdiff schdelze d’hund
uff de nàsse pfoode,
én de gräwle glückse
gléckli d’grodde;
nààchtlàng bàtscht’s
uff de kérichhoftbodde,
s'raajt lîsli éns müül
vun de junge doode.

(Un petit clin d'oeil à mes amis Richard et Véronique...)

Une « petite musique d’automne » pour se souvenir que la poésie, parfois, suffit à tenir debout dans la pluie.