Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
18 Juin 2020
Je continue mes promenades virtuelles..., plutôt musicale cette fois-ci...
Niemand wird sich selber kennen,
Sich von seinem Selbst-Ich trennen;
Doch probier er jeden Tag,
Was nach außen endlich, klar,
Was er ist und was er war,
Was er kann und was er mag.
Personne ne se connaîtra soi-même
Ne se séparera de son moi propre ;
Qu’il essaie chaque jour,
De savoir enfin clairement,
Ce qu’il est et ce qu’il était,
Ce qu’il peut et ce qu’il désire.
J.W. von Goethe
Richard Strauss (1864-1949)- Metamorphosen [Métamorphoses], étude pour vingt-trois cordes solistes op. 142 - Composition : 13 mars-12 avril 1945.
Création : le 25 janvier 1946 à la Tonhalle de Zurich par le Collegium Musicum Zürich et Paul Sacher.
Dédicace : au Collegium Musicum Zürich et à Paul Sacher.
Efectif : 10 violons, 5 altos, 5 violoncelles, 3 contrebasses.
Durée : environ 26 minutes.
Les Métamorphoses sont achevées au mois d’avril 1945, à une époque où le peuple allemand commence à percevoir l’immense tragédie de la guerre et à réaliser les atrocités innommables commises par le régime nazi. Personne ne se fait plus d’illusions, alors, sur les suites du conflit. Au sentiment de honte s’ajoute celui d’un profond abattement tandis que le pays ploie sous les bombes alliées. Les années de terreur, de répression antisémite et d’exactions en tout genre sont, enfin, sur le point de s’achever. Richard Strauss note dans son Journal : « Le 12 mars, le célèbre Opéra de Vienne a été la proie des bombes. Le premier mai, par contre, la plus terrible période de l’humanité a pris fin – douze années placées sous la férule de la bestialité, de l’ignorance et de l’analphabétisme exercés par les plus grands criminels, les responsables de la destruction de 2000 ans de civilisation allemande ; ceux qui ont, à travers l’action meurtrière d’une horde de soldats, démoli des bâtiments irremplaçables et des monuments élevés à la gloire de l’art ». Les Métamorphoses ne sont pas qu’une lamentation devant les ruines de la civilisation allemande, ainsi qu’on l’a souvent écrit. Des études récentes ont montré qu’une partie du matériau provenait d’esquisses pour une partition chorale sur un poème de Goethe intitulé Niemand wird sich selber kennen (« Personne ne se connaîtra soi-même »). Désespéré par l’attitude des dirigeants nazis, Strauss avait en effet entrepris de relire toute l’œuvre de l’écrivain weimarien, se réfugiant dans ce qu’il estimait être le meilleur de la culture allemande. L’œuvre chorale ne fut jamais menée à bien mais quelques éléments furent intégrés dans les Métamorphoses. Les vers de Goethe, extraits des Zahme Xenien de 1827, sont riches de signification. Ils proposent un regard introspectif, sinon un véritable examen de conscience : « Personne ne se connaîtra soi-même, / ne se séparera de son moi propre ; / que chacun essaie chaque jour / de savoir enfin clairement, / ce qu’il est et ce qu’il était, / ce qu’il peut et ce qu’il désire ». Le texte n’est pas choisi au hasard. Il donne l’impression que Strauss cherche à évaluer sa propre attitude au regard de l’histoire. Le musicien s’était en effet compromis avec le régime nazi avant de prendre ses distances avec lui. Peut-être un peu trop tardivement…Les Métamorphoses sont l’une de ses plus grandes œuvres : une partition au ton crépusculaire écrite pour vingt-trois cordes solistes (dix violons, cinq altos, cinq violoncelles, trois contrebasses) et d’une durée atteignant la demi-heure. Une musique de deuil au ton résigné et aux teintes douces et feutrées. La forme s’efface devant le travail de transformation continue des idées. Si une oreille avisée peut discerner des repères traditionnels, tels une exposition des thèmes, un développement central puis une réexposition écourtée, la logique de la forme n’opère plus. Les grandes articulations ne servent qu’à offrir un cadre au processus de germination et de métamorphose ininterrompues des motifs. Les cinq éléments thématiques principaux sont toujours identifiables, peu altérés, mais ils sont élaborés au sein d’une polyphonie dense, continuellement changeante, nourrie d’idées secondaires dérivées des premières. Le titre se réfère à un autre texte de Goethe, La Métamorphose des plantes : la description d’une forme où ne se trouve nulle part de constance, d’immobilité, d’achèvement, une forme capable de rester une en dépit de la modification des éléments qui la composent. Le titre de Strauss peut être ainsi perçu de façon multiple. Il indique à la fois une référence à Goethe, une conception singulière de la forme, et également la capacité d’un individu à se mettre en question et à évoluer – dans un sens positif comme négatif. Il en va de même de la notation « In Memoriam » indiquée dans les dernières mesures. Elle souligne une citation de la Troisième Symphonie de Beethoven et peut être comprise comme une volonté de préserver le meilleur de la culture allemande.
Elle peut aussi évoquer ce (ceux) que le nazisme a détruit(s) : les Métamorphoses inciteraient à cet égard à la vigilance.
Sources : Cité de la Musique
Et pour mes amies germanophones au cours de cette déambulation, j'ai découvert un site austère et poétique. Oui cela peut co-exister....
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane