Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
25 Février 2020
Ce mois restera dans ma mémoire comme un mois de pluie ininterrompue, tant j'ai écouté de musique au lieu d'arpenter les chemins et sentiers. Alors un deuxième billet "musical" pour garder une trace de ces moments consacrés à Bartók. J'avais déjà écrit un billet sur ce compositeur en 2015, quand je suivais les cours d'histoire de la musique de G. Kosmicki via l'UTL....
Bartók connaît l’un des plus éclatants succès de sa carrière avec la création à Bâle de sa Musique pour cordes, percussion et célesta ;
La musique pour cordes, percussion et célesta est créée le 21 janvier 1937 par l'Orchestre de Chambre de Bâle sur une commande de son chef Paul Sacher. C'est une des œuvres les plus célèbres du compositeur hongrois, occupant une part toute particulière dans le répertoire de par sa nomenclature : double quintette à cordes, des percussions dont un piano, une harpe et un célesta. Dans les différents mouvements, Bartók déploie une vaste palette de timbres, tirant les spécificités de chaque section d'instruments, notamment celles du célesta et sa sonorité cristalline.
L'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Alan Gilbert interprète Musique pour cordes, percussion et célesta de Béla Bartók. Extrait du concert enregistré en direct le 16 Mars 2019 à l'Auditorium de la Maison de la Radio.
00:06 1er mouvement : Andante tranquillo
08:40 2ème mouvement : Allegro
16:45 3ème mouvement : Adagio
23:30 4ème mouvement : Finale. Allegro molto
L'oeuvre est structurée en quatre mouvements : le premier, Andante tranquillo, est une fugue lente et progressive, devenant de plus en plus intense en volume jusqu'au climax. Le thème de la fugue sert de matériau pour les mouvements suivants. Le second mouvement, Allegro, vif et brutal, offre un contraste saisissant avec le premier mouvement, par les nombreux accents rythmiques et le piano syncopé. Le troisième mouvement Adagio est une musique nocturne, où tout le mystère du célesta s'exprime, nous offrant une scène d'anthologie dans Shining de Stanley Kubrick, celle où Danny, déambulant dans le labyrinthe de l'hôtel, aperçoit une vision de sœurs jumelles décédées en ces lieux. Le quatrième mouvement Allegro molto a le caractère d'une danse folklorique hongroise, très rythmé.
C'est peut-être ici que Bartok a donné la plus haute expression de son génie, a écrit Messian, vantant non seulement toutes les nouveautés de l'instrumentation, de l'écriture rythmique et harmonique (les mélanges du tonal, du modal, de l'atonal, de l'ultra-chromatique ...
Les retombées ne tardent pas : une nouvelle commande se présente dès le mois de mai suivant, émanant cette fois de la section locale de la Société internationale de musique contemporaine.
Sonate pour deux pianos et percussion de Bartok
L’époque est particulièrement tendue : l’Anschluss viendra bientôt confirmer les visées expansionnistes de l’Allemagne nazie et Bartók, pacifiste convaincu, s’élève régulièrement contre la montée du totalitarisme et des nationalismes. Mais, professionnellement, il a rarement été aussi comblé. En 1936, il a obtenu le poste qu’il convoitait depuis si longtemps à l’Académie des sciences de Hongrie, et il peut désormais se consacrer pleinement à l’étude de ses chers chants populaires ; en novembre de la même année, il a découvert avec joie un nouveau terrain de collectage : l’Anatolie. Sa carrière de pianiste est florissante, et les concerts à l’étranger se multiplient. Comme compositeur, il semble avoir atteint sa plénitude ; sublimant les conquêtes stylistiques des années vingt en les confrontant aux grandes formes, il produit, dans les années trente, une série de chefs-d’œuvre fascinants dans leur maîtrise formelle autant que dans leur invention sonore. La Sonate pour deux pianos et percussion est l’un des joyaux de cette floraison. Elle sera créée le 16 janvier 1938 à Bâle par Bartók et sa deuxième épouse, Ditta Pásztory, au piano, et par Fritz Scheiner et Philipp Rühlig à la percussion. L’œuvre sera orchestrée en 1940 sous le titre de Concerto pour deux pianos et orchestre et créée sous cette forme par les époux Bartók, dans leur exil américain, le 21 janvier 1943 à New York avec l’Orchestre philharmonique de New York dirigé par Fritz Reiner.
Le Concerto pour orchestre de Béla Bartók :
En 1939, une tournée aux États-Unis avec le violoniste Josef Szigeti et le clarinettiste de jazz Benny Goodman donne à Bartok le goût de ce pays, où il choisit d’émigrer l’année suivante quand, au début de la Seconde Guerre mondiale, le national-socialisme étend son emprise sur l’Europe centrale tout entière. Bartok s’installe à New York où il est chargé de recherche à l’université. Mais il n’est pas autant fêté que Schoenberg, lui aussi en exil – mais en Californie, sur la côte ouest. Le compositeur hongrois doit faire ses preuves et montrer sa vitalité, même si la nostalgie le ronge. La commande du Concerto pour orchestre vient à point nommé lui redonner de l’énergie, mais il est trop tard : Bartok mourra d’une leucémie à New York en 1945, l’année suivant la création du Concerto pour orchestre, laissant inachevé un Concerto pour alto et orchestre.
En soi, le concerto pour orchestre n'est pas l'un des chefs-d'oeuvre de Bartok, bien que ce soit l'une de ses œuvres les plus populaires et les mieux faites pour ouvrir au public non averti l'accès à la musique de Bartok et même du XXe siècle. Mais il prend une autre résonance si l'on consent à l'entendre dans son contexte, comme l'effort d'un malade exilé pour affirmer malgré tout encore cette foi en la vie, qui, après l'avoir porté durant tant d'épreuves, l'a un moment déserté. Bartok n'a pas donné de titre à son oeuvre, mais n'est elle pas plus poignante si nous l'écoutons comme un "concerto de l'exil" ou un dernier effort enfle une voix déjà affaiblie par l'approche de la mort ?
Vous pouvez continuer à lire l'analyse du concerto sur le site de la maison de la radio ici
Sources : https://www.maisondelaradio.fr/ - Bartok - Pierre Citron - éditions du seuil
Concerto pour Orchestre de B. Bartok avec l'orchestre symphonique de Francfort sous la baguette d' Andrés Orozco-Estrada
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