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Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.

Евгений Евтушенко Бабий Яр - Babi Yar - Evgueni Evtouchenko

Le dernier chemin - Yosef Kuzkovski

Le dernier chemin - Yosef Kuzkovski

Evgueni Evtouchenko est né en Russie en 1933. Romancier et poète, scénariste, au moment du «dégel» après la déstalinisation voulue par Kroutchev en URSS. il fut une des voix résistantes pour la liberté et le courage.. Son poème Babi Yar écrit en 1961, dénonce le massacre par les nazis accompli par le Einsatzgruppen C, l’un des quatre groupes spéciaux qui ont participé à l’extermination des Juifs à l’arrière des lignes allemandes près de Kiev en Ukraine. 33771 Juifs massacrés les 29 et 30 septembre 1941.

Dans ce poème Il s’était opposé aux autorités soviétiques qui tentaient d’occulter le fait que ce furent des Juifs qui furent massacrés par les nazis et non des «citoyens soviétiques» lambda comme l’indiquaient alors sans nuance les panneaux d’information installés dans le lieu.

Il participe avec d’autres intellectuels russes à la défense des écrivains Siniavski (1966) (qui avait notamment préfacé un recueil de poésies de Boris Pasternak et de Iouli Daniel. (1966) Ils seront condamnés à sept ans de camp.

Ses œuvres ont été traduites dans plus de 70 langues.

Evgueni Evtouchenko est décédé aux Etats-Unis en 2017

"A l’Est de l’Europe, sur les « terres de sang » contestées par l’Allemagne et l’URSS à partir de l’été 1941, ce sont surtout les exécutions de masse qui marquent l’entreprise nazie d’extermination des Juifs.

Le massacre de Babi Yar (Babyn Yar) est l’un d’entre eux – le plus meurtrier de cette « Shoah par balles » : en deux jours de la fin septembre 1941, au bord d’un ravin à proximité de Kiev, près de 34 000 Juifs furent mitraillés par le Sonderkommando 4a. Au cours des trois années suivantes, 70 000 autres hommes, femmes et enfants, Juifs, Ukrainiens, Roms, handicapés, prisonniers de guerre, y furent aussi fusillés.

Dès 1943, le poète ukrainien Mykola Bazhan, faisait explicitement référence à ces massacres (mais pas à leurs victimes juives) dans son poème « Babi Yar ». Près de vingt ans plus tard, en 1961, le poète russe Evgueni Evtouchenko consacrait à son tour à ce lieu et aux victimes – et particulièrement ses victimes juives – un poème, portant le même titre et destiné à devenir autrement plus célèbre.

Né en 1932, devenu adulte dans les années de la mort de Staline et du « dégel » de Khrouchtchev, Evtouchenko dénonçait autant l’antisémitisme de la période nazie que le refus du stalinisme de reconnaître l’étendue et la spécificité de la souffrance juive."

source :

Бабий Яр

Над Бабьим Яром памятников нет.
Крутой обрыв, как грубое надгробье.
Мне страшно.
Мне сегодня столько лет,
как самому еврейскому народу.Мне кажется сейчас —
я иудей.
Вот я бреду по древнему Египту.
А вот я, на кресте распятый, гибну,
и до сих пор на мне — следы гвоздей.
Мне кажется, что Дрейфус —
это я.
Мещанство —
мой доносчик и судья.
Я за решеткой.
Я попал в кольцо.
Затравленный,
оплеванный,
оболганный.
И дамочки с брюссельскими оборками,
визжа, зонтами тычут мне в лицо.
Мне кажется —
я мальчик в Белостоке.
Кровь льется, растекаясь по полам.
Бесчинствуют вожди трактирной стойки
и пахнут водкой с луком пополам.
Я, сапогом отброшенный, бессилен.
Напрасно я погромщиков молю.
Под гогот:
«Бей жидов, спасай Россию!»-
насилует лабазник мать мою.
О, русский мой народ! —
Я знаю —
ты
По сущности интернационален.
Но часто те, чьи руки нечисты,
твоим чистейшим именем бряцали.
Я знаю доброту твоей земли.
Как подло,
что, и жилочкой не дрогнув,
антисемиты пышно нарекли
себя «Союзом русского народа»!
Мне кажется —
я — это Анна Франк,
прозрачная,
как веточка в апреле.
И я люблю.
И мне не надо фраз.
Мне надо,
чтоб друг в друга мы смотрели.
Как мало можно видеть,
обонять!
Нельзя нам листьев
и нельзя нам неба.
Но можно очень много —
это нежно
друг друга в темной комнате обнять.
Сюда идут?
Не бойся — это гулы
самой весны —
она сюда идет.
Иди ко мне.
Дай мне скорее губы.
Ломают дверь?
Нет — это ледоход…
Над Бабьим Яром шелест диких трав.
Деревья смотрят грозно,
по-судейски.
Все молча здесь кричит,
и, шапку сняв,
я чувствую,
как медленно седею.
И сам я,
как сплошной беззвучный крик,
над тысячами тысяч погребенных.
Я —
каждый здесь расстрелянный старик.
Я —
каждый здесь расстрелянный ребенок.
Ничто во мне
про это не забудет!
«Интернационал»
пусть прогремит,
когда навеки похоронен будет
последний на земле антисемит.
Еврейской крови нет в крови моей.
Но ненавистен злобой заскорузлой
я всем антисемитам,
как еврей,
и потому —
я настоящий русский!

 

Евгений Евтушенко

Babi Yar

Non, Babi Yar n’a pas de monument.

Le bord du ravin, en dalle grossière.

L’effroi me prend.

J’ai l’âge en ce moment

Du peuple juif.

Oui, je suis millénaire.

Il me semble soudain-

l’Hébreu, c’est moi,

Et le soleil d’Egypte cuit ma peau mate;

Jusqu’à ce jour, je porte les stigmates

Du jour où j’agonisais sur la croix.

Et il me semble que je suis Dreyfus,

La populace
me juge et s’offusque;

Je suis embastillé et condamné,

Couvert de crachats
et de calomnies,

Les dames en dentelles me renient,

Me dardant leurs ombrelles sous le nez.

Et je suis ce gamin de Bialystok ;
le sang ruisselle partout.

Le pogrom.

Les ivrognes se déchaînent et se moquent,

Ils puent la mauvaise vodka et l’oignon.

D’un coup de botte on me jette à terre,

Et je supplie les bourreaux en vain-

Hurlant  »Sauve la Russie, tue les Youpins! »

Un boutiquier sous mes yeux viole ma mère.

Mon peuple russe ! Je t’aime, je t’estime,

Mon peuple fraternel et amical,

Mais trop souvent des hommes aux mains sales firent de ton nom le bouclier du crime!

Mon peuple bon!

Puisses-tu vivre en paix,

Mais cela fut, sans que tu le récuses:

Les antisémites purent usurper

Ce nom pompeux : »Union du Peuple Russe »…

Et il me semble:

Anne Franck, c’est moi;

Transparente comme en avril les arbres,

J’aime.

Qu’importent les mots à mon émoi:

J’ai seulement besoin qu’on se regarde.

Nous pouvons voir et sentir peu de choses-

Les ciels, les arbres, nous sont interdits :

Mais nous pouvons beaucoup, beaucoup- et j’ose

T’embrasser là, dans cet obsccur réduit.

On vient, dis-tu ?

N’aie crainte, c’est seulement

Le printemps qui arrive à notre aide…

Viens, viens ici.

Embrasse-moi doucement.

On brise la porte ?

Non, c’est la glace qui cède…

Au Babi Yar bruissent les arbres chenus ;

Ces arbres nous sont juges et témoins.

Le silence ici hurle.

Tête nue
mes cheveux grisonnent soudain.

Je suis moi-même
silencieux hurlement

Pour les milliers tués à Babi Yar ;

Je sens

Je suis moi-même

Je suis moi-même

chacun de ces enfants,

chacun de ces vieillards.

Je n’oublierai rien de ma vie entière ;

Je veux que l’Internationale gronde

Lorsqu’on aura enfin porté en terre

Le dernier antisémite du monde !

Dans mon sang, il n’y a pas de goutte juive,

Mais les antisémites, d’une haîne obtuse comme si j’étais un Juif, me poursuivent-

Et je suis donc un véritable Russe!

 

Traduit du russe par Jacques Burko

"Qu’est-ce qu’un vrai Russe? A cette question particulièrement actuelle, à l’heure de la montée du sentiment national en Russie comme à travers toute l’Europe, Dimitri Chostakovitch en 1962 répondait en reprenant dans sa Symphonie n°13 « Babi Yar » les mots du poète Evgueni Evtouchenko : « Il n’y a pas de sang juif dans mes veines, mais sur moi pèse la hideuse haine de tous les antisémites comme si j’étais un Juif: et voilà pourquoi je suis un vrai Russe! ».

C’est dans ce contexte que Dimitri Chostakovitch choisit de témoigner et de faire de Babi Yar le premier mouvement de sa Symphonie n°13, l’année où il doit devenir membre du Soviet suprême. La Symphonie n°12 « 1917 » était une concession aux exigences du régime soviétique, la symphonie est une critique en règle des crimes contre l’humanité (1. Babi Yar), de l’ambition professionnelle matérialiste obtenue au prix de la trahison de ses idéaux (5.Carriérisme) , des peurs imposées par la dictature (4. Angoisses). Elle est aussi, en contrepoint, une apologie du courage des femmes (3. Au magasin) et de la force indomptable et corrosive de l’humour (2. Humour).

Les autorités n’apprécièrent pas que le poème de Babi Yar se concentre exclusivement sur l’extermination des juifs de Kiev et ne mentionne pas les autres victimes. Faute d’obtenir la modification du texte, elles s’appliquèrent à perturber la création. Evgueni Mravinski qui devait assurer la création se décommanda, et Kirill Kondrachine assura la relève. La basse, qui tient un rôle crucial dans la symphonie, faisait partie de la troupe du Bolchoï et fut réquisitionnée à la dernière minute pour une représentation du Prince Igor (lire l'entretien « Dimitri face à son œuvre » avec Irina Chostakovitch sur les circonstances difficiles de la première de cette œuvre). En dépit de ces épreuves, la création eut bien lieu le 18 décembre 1962 dans la grande salle du Conservatoire et la symphonie fut redonnée le 20 décembre, et enregistrée avec soin. C’est cet enregistrement qu’édite Praga Digitals,beaucoup plus rare que que celui de 1967 pour Melodiya avec le même chef et le même orchestre, mais avec un texte révisé conformément aux volontés des autorités."

"La création d’une symphonie de Chostakovitch  était un énorme événement dans la vie musicale de l’Union Soviétique, et écouter l’enregistrement de la création de sa symphonie la plus ouvertement polémique de tout son corpus orchestral est en soi une expérience historique de premier plan.

Les interprètes sont-ils artistiquement à la hauteur des circonstances et de la hauteur morale de l’œuvre? Absolument. La tension et l’émotion sont particulièrement palpables dans les premières mesures. Tout au long du premier mouvement la basse Vitaly Gromadski porte une attention particulière à l’articulation du poème, pour que la salle n’en perde pas une syllabe. Passé l’ambiance de plomb de l’introduction, l’Orchestre philharmonique de Moscou et le chœur donnent tout ce qu’ils ont. Chauffés à blanc, ils font corps avec la musique, avec laquelle ils sont en totale osmose. Si la version de 1967 ne perd rien de sa force et reste une pierre angulaire de la discographie, cet enregistrement de 1962 a l’atout incomparable d’être un document artistique et politique. Par dessus tout il est le témoignage palpable, direct, d’hommes qui se dressent pour défendre la mémoire de ceux qui ont été exterminés parce qu’ils étaient pensés comme d’une autre race et d’une autre religion.

Au fait, pourquoi Chostakovitch s’intéressait-il au sort des juifs au point de risquer une nouvelle fois sa carrière, lui qui avait été ostracisé sous Staline en 1936-1937 pour la modernité et l’érotisme de son opéra Lady MacBeth de Mtsensk, puis de 1948 à 1953 puis pour ses symphonies trop tragiques (Symphonie n°8, 1943) ou trop guillerettes (Symphonie n°9, 1945)  ? Irina Chostakovitch dans son entretien « Dimitri en son siècle » l’explique simplement : Chostakovitch comptait beaucoup d’amis juifs, musiciens ou non, et c’est pourquoi « la question juive était tellement douloureuse pour lui ». Quant au risque que Chostakovitch prenait pour lui-même et sa position de musicien en URSS, les dernières paroles de la symphonie apportent une réponse transparente à cette question : «Je fais une carrière en ne la faisant pas». Au cimetière de Novodevichy à Moscou, la tombe de Chostakovitch est ornée d’une discrète croix chrétienne".

Source :

Lire ici un article examinant le rôle de la peinture et des artistes dans la constitution de la mémoire de la Shoah en Lettonie soviétique après la Seconde Guerre mondiale. L’histoire du tableau (illustrant ce post) "Le dernier chemin (1944-1948), consacré à l’extermination des Juifs à Babi Yar en Ukraine" occupée par les nazis, et la trajectoire de son auteur, Yosef Kuzkovski éclairent l’évolution de la représentation du génocide à mi-chemin entre les sphères publique et privée.

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