Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
28 Avril 2025
En cette journée du souvenir des victimes de la déportation, une poésie de Paul Celan. Ici, à écouter la présentation par Clara Ysé
Paul Celan est un poète roumain d’origine juive et de langue allemande. Son père et sa mère ont été déportés et sont morts, le premier du typhus en 1942 et la deuxième, d’une balle dans la nuque en 1943 dans le camp de concentration de Michailowka. Envoyé dans un camp de travail forcé en Moldavie en 1943, Paul Celan sera libéré par l'Armée rouge en 1944.
Pendant quelques années éditeur et traducteur à Bucarest, il a quitté la Roumanie en 1947 pour l’Autriche avant de s’installer ensuite à Paris. Parlant parfaitement le français, il n’a voulu écrire que dans sa langue maternelle allemande, celle qui a fondé son identité en même temps que celle de l’ennemi. Après de nombreux séjours en hôpital psychiatrique, il s’est suicidé en se jetant dans la Seine.
Source : France Culture
"Argumentum e silentio"
A René Char
Rivée à la chaîne,
entre l’or et l’oubli :
la Nuit.
Empoignée par l’un et par l’autre,
soumise.
Pose, toi aussi,
pose près d’elle,
ce qui songe à poindre
quand poindront les jours :
la Parole
survolée d’astres,
inondée d’océans.
A chacun sa parole,
la parole qui pour lui se fit chant
quand la meute l’attaqua, sournoise ;
à chacun la parole
qui avant d’être glace
fut chant.
Mais à la Nuit la Parole,
survolée d’astres,
inondée d’océans ;
à elle, la Parole,
fruit du silence,
et dont le sang
survécut aux syllabes
transpercées par la dent à venin.
A elle la Parole de silence.
Pour porter enfin témoignage
contre les autres qui, aguichés
par l’oreille de l’écorcheur,
gravissent le temps et les âges ;
pour témoigner, à la fin,
quand seules des chaînes résonnent,
de la Nuit qui gît là,
entre l’or et l’oubli,
leur sœur de tous temps.
Car où, dis-moi, poindrait
une aube sinon près d’elle
qui dans le lit de sa larme
montre aux soleils qui immergent
les semailles
encore et toujours ?
"Argumentum e silentio" de Paul Celan, extrait de Choix de poèmes réunis par l’auteur, publié aux éditions Poésie/Gallimard, 1998, traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
ARGUMENTUM E SILENTIO
Für René Char
An die Kette gelegt
zwischen Gold und Vergessen :
die Nacht.
Beide griffen nach ihr.
Beide ließ sie gewähren.
Lege,
lege auch du jetzt dorthin, was herauf-
dämmern will neben den Tagen :
das sternüberflogene Wort,
das meerübergossne.
Jedem das Wort.
Jedem das Wort, das ihm sang,
als die Meute ihn hinterrücks anfiel-
Jedem das Wort, das ihm sang und erstarrte.
Ihr, der Nacht,
das sternüberflogne, das meerübergossne,
ihr das erschwiegne,
dem das Blut nicht gerann, als der Giftzahn
die Silben durchstieß.
Ihr das erschwiegene Wort.
Wider die andern, die bald,
die umhurt von den Schinderohren,
auch Zeit und Zeiten erklimmen,
zeugt es zuletzt,
zuletzt, wenn nur Ketten erklingen,
zeugt es von ihr, die dort liegt
zwischen Gold und Vergessen,
beiden verschwistert von je –
Denn wo
dämmerts denn, sag, als bei ihr,
die im Stromgebiet ihrer Träne
tauchenden Sonnen die Saat zeigt
aber und abermals ?
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