Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
3 Février 2015
Ce matin au cours de l'atelier de musique, G. KOSMICKI nous a conviés à une expérience révélatrice : écouter les six "quatuors à cordes" de Bartok (dont le premier est écrit en 1908) à la suite des six derniers de Beethoven (écrits entre 1823 et 1826). Cela semble couler de source comme si une continuité naturelle existait entre eux, après une parenthèse de quatre-vingts ans.
Comme il le souligne dans son ouvrage "Musiques savantes de Debussy au mur de Berlin" paru chez "Le mot et le reste" :
"Beethoven est allé tellement loin dans la déstructuration du genre, dans l'exploitation des timbres instrumentaux, des textures sonores, des masses, des dynamiques et dans la gestion incroyable et variée des motifs thématiques et du temps musical qu'il aura fallu attendre le XXe siècle pour qu'un nouveau candidat reprenne le flambeau et poursuive cette recherche avec une telle ampleur".
A partir de 1823 et jusqu’à sa mort en 1827, c’est entièrement au quatuor à cordes qu’il consacre ses compositions. Emmuré dans le silence, c’est par ces quatre instruments, les deux violons, l’alto et le violoncelle qu’il offre ses voix intérieures. Il nous donnera 5 quatuors, tous d’une exceptionnelle qualité, témoignant à la fois des souffrances et des interrogations d’un génie, comme de ses moments de paix et de rémission.
Beethoven s’"empara" du quatuor à cordes et en fit ce qu’il fit de la symphonie et de la sonate pour piano : un dialogue avec l’univers et les dieux. Ces oeuvres montrent des différences notables dans leur forme : l’opus 127 (12e quatuor) rappelle une suite, avec ses nombreux changements de rythme au premier mouvement et ses variations au second, tandis que l’opus 135 (16e quatuor), la dernière oeuvre que Beethoven ait terminée, nous surprend par une architecture très particulière, éthérée, produisant une impression étrange, presque déséquilibrée, à l’inverse de l’opus 132 (15e quatuor), considéré par beaucoup comme le chef d’oeuvre absolu du compositeur, prenant son essor dans une structure d’un classicisme transcendant. La Grande Fugue opus 133 était à l’origine le mouvement final du 13e quatuor opus 131. A la première audition de ce quatuor, devant les réactions d’un public choisi, Beethoven résolut de modifier cette fin, mais il conserva la Grande Fugue, qu’il développa et qui devint un quatuor à part entière. Cette forme de composition, la fugue, fut, pour Beethoven comme pour Bach, la forme la plus appréciée au cours des dernières années de leur vie.
12e quatuor, opus 127 par le quatuor Alban Berg
14e quatuor, opus 131, par le quatuor Alban Berg
Quatuor n°15 en la mineur Op. 132
16e quatuor, opus 135, par le Quatuor Alban Berg
Grande fugue, opus 133, par le quatuor Alban Berg
"Les "quatuors à cordes" de Bartók sont des maillons essentiels à la compréhension de la modernité. Ils jalonnent son parcours de compositeur et illustrent ses orientations esthétiques changeantes, ses engagements et ses convictions les plus intimes jusqu'aux portes du désastre de la Seconde Guerre Mondiale."
"Dans le "Quatuor n° 1" en se référant à ses modèles initiaux du romantisme allemand, il pousse plus loin encore le chromatisme exubérant dès les première notes dans l'enchevêtrement très resserré du chant des deux voix de violons : toute l'échelle occidentale des douze demi-tons est couverte dès les trois premières mesures".
"On observe dans le "deuxième quatuor" une structure pyramidale (forme en arche) avec la partie la plus intense en son centre : un Moderato est suivi d'un Allegro, remarquable par ses rythmes percussifs, s'enchaînant enfin sur un Lento aux sonorités mystérieuses...."
"le troisième quatuor est le plus concis de tous. Sa forme générale, très originale, repose sur deux mouvements successifs, Moderato puis Allegro, mais une récapitulation du premier mouvement suit en Moderato, puis le tout s'achève par une coda Allegro molto, elle-même concluant le deuxième mouvement....Le style de Bartók s'est affiné, sa maîtrise des chromatismes, son exploitation thématique, ses textures mystérieuses semblent couler de source dans une écriture limpide et fluide."
"Le Quatrième Quatuor revient à la forme en arche chère à Bartók.....qui est aussi un amoureux des timbres, et a su s'inspirer dans son travail des jeux instrumentaux particuliers rencontrés au cours de sa quête de musiques populaires";
"Avec le "Cinquième Quatuor', toujours en forme d'arche, Bartók revient progressivement à la musique tonale, voie qui caractérise les œuvres de la fin de sa vie. Mais il reste rempli de dissonances expressives, dérivant parfois sur des accès sarcastiques. Le retour à la consonance dans la grammaire générale fait ressortir par contraste d'autant plus marqué l'emploi des dissonances. Il y a tout lieu de penser que Bartók a souhaité y faire passer les tensions qu'il rencontrait alors en pleine montée du nazisme en Hongrie sous le gouvernement de Miklos Horthy, alors qu'il y résistait en refusant de compromettre sa musique dans toute manifestation...."
Le "Sixième Quatuor" est le plus poignant, caractérisé par un Mesto qui introduit en prélude chacun des trois premiers mouvements, puis qui contamine finalement le dernier en intégralité. Il s'agit du plus classique d'entre tous, car il suit un plan en quatre mouvements.
"En 1939, Bartók achève donc son dernier quatuor, écœuré, alors que tous les événements semblent contredire les idées qui ont conduit sa vie. Alors qu'il a poussé la résistance au régime hongrois fascisant au bout de ses limites, il s'exile définitivement pour les USA en 1940, où il meurt en septembre 1945. Un nouveau monde est alors en cours de formation. Il a largement participé à la pose de ses jalons musicaux, mais il ne le connaîtra pas".
Sources :
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane