Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
5 Mai 2021
L'enclos de Sizun est un incontournable de la vallée de l'Elorn, mais je n'ai rien publié ici sur cet enclos...à part un billet consacré au concert de décembre 2012, célébrant la fin des travaux de restauration de l'église.
Sizun, dont le nom remonte à la haute antiquité, celtique sans doute, doit sa renommée à son enclos paroissial, l’un des plus harmonieux et des plus curieux du département. Sa parure de pierre témoigne de la prospérité dont la paroisse a joui aux XVIe, XVIIe et début du XVIIIe siècles grâce au commerce du lin et à ses 35 ateliers de tissage. Les débuts du règne de Louis XIV ont marqué le point culminant de la construction. Un sculpteur malicieux a représenté un ange coiffé de la même perruque que le roi au-dessus du retable du Rosaire.
Le saint Patron de Sizun est saint Suliau, qui est également celui de Saint-Suliac sur Rance. Selon la tradition, il serait venu du Pays de Galles, au milieu du VIe siècle et aurait fondé un monastère sur les bords de la Rance. Il serait à l’origine du bourg actuel Saint-Suliac, près de Saint-Malo. Il est représenté en moine tenant quatre bâtons à l’angle sud de l’ossuaire et dans une niche extérieure de la sacristie. Selon la légende, du bétail des environs venait dévaster un champ qu’il avait semé de blé. Pour protéger ses cultures, il traça une ligne autour du champ et piqua un bâton à chaque angle. La nuit suivante, les animaux revinrent et furent comme pétrifiés quand ils touchèrent cette ligne. Suliau les vit, les bénit et leur demanda de ne pas revenir. Ils s’en allèrent et ne vinrent plus piétiner le champ.
Cet enclos se distingue par sa porte triomphale : Le monument qui frappe l'attention de tous les visiteurs de l'enclos paroissial, c'est l'Arc de Triomphe. Il donnait accès au cimetière qui autrefois était situé autour de l'Eglise. On dit que c'est le plus beau du genre en Bretagne, il est certainement le plus important. Très représentatif de l'art de la Renaissance, il a deux façades semblables. Son développement complet est de 14,5 m. et est formé de trois arcades séparées par des colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens.
La partie centrale est surmontée d'un calvaire et on pouvait y célébrer la messe en plein air. Un escalier de pierre permettait d'accéder à la galerie supérieur, il a été enlevé lors de l'élargissement de la route adjacente. Sa construction est située autour des années 1588-1590.
L'OSSUAIRE est situé dans la partie ouest du cimetière, façade ouverte sur l'Orient. Cette façade fait la particularité de l'Ossuaire de SIZUN. Elle est divisée en trois registres que viennent couper la porte et le fronton triangulaire orné des armes de la famille de Rohan.
Le registre inférieur comporte des pierres en granit jaune alvéolé ; celui du milieu, une série de fenêtres en plein cintre, séparées par des pilastres à gaines, avec la particularité pour l'un d'entr'eux : la représentation de la femme au rouleau dont c'est le seul habillement ; sur l'avant-dernier est gravée la date de 1585.
Le troisième registre est formé par une longue suite de douze niches, séparées par des pilastres doriques cannelés, dans lesquelles sont placées les statues des douze Apôtres : Pierre (Clefs), André (croix en x), Jacques le Majeur (coquille), Jean (coupe), Jacques le Mineur (bâton), Matthias (bâton pastoral), Philippe (croix), Barthélémy (coutelas), Matthieu (balance), Simon (scie), Jude (glaive), Thomas (équerre). Les Apôtres sont drapés par une phrase du Credo.
La porte d'entrée à l'Ossuaire est formée de deux colonnes cannelées, coiffée de chapiteaux corinthiens écourtés, lesquels portent un entablement et un fronton triangulaire. En haut de ce fronton, au-dessus des armes des Rohan est inscrite la date de 1588 ; s'y trouve également une petite statuette de Saint-Suliau, tenant toujours ses houssines ou petites baguettes. Dans les triangles extérieurs se trouvent deux franciscains : Saint-François d'Assise montrant ses stigmates et un deuxième tenant un ciboire ou calice. Deux inscriptions sont inscrites : Memento Mori -"Souviens-toi qu'il faut mourir", et "Vous nos enfants qui par ici passés, souvenez-vous que nous sommes trépassés".
En tête de la série des Apôtres, au contrefort sud-est se trouve la statue de Saint-Suliau représenté en chasuble antique.
Regardant vers la place, à l'angle formé avec l'Arc de Triomphe se trouve une sirène portant comme des traces d'algues marines.
A l'origine, l'Ossuaire servait à recevoir les restes des morts relevés des tombes, lorsqu'on procédait à une nouvelle inhumation. A cette époque plus récente, on y déposait les morts avant les obsèques pour une dernière veillée funèbre. Actuellement, l'Ossuaire est un lieu d'accueil pour les visiteurs, d'exposition d'un intérieur breton, de divers objets et vêtements d'autrefois. Des statues, venant de lieux différents, y sont aussi exposées.
Continuons cette visite par le bestiaire des crossettes et gargouilles.
Le blog de J.Y. Cordier y consacre un long article : le terme de "crossette" tel que je le trouve défini dans Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne (2014) d'Emmanuelle Le Seac'h (1972-2011) page 40 :
"Les pierres d'amortissement, nécessaires à la structure et à l'équilibre d'un fronton ou d'un pignon, sont généralement prolongées par des acrotères, des crossettes ou des pots-à-feu. Les crossettes, situées à la terminaison des rampants d'un pignon ou d'un fronton, sont extrêmement nombreuses. Les plus belles sont sculptées dans la pierre de kersanton sur les porches de la vallée de l'Élorn, comme à Landivisiau où un lion et un dragon se font pendant. L'Ankou apparaît parmi les crossettes, comme sur la façade de l'église de Lannédern."
Le lion.
Le lion, de profil mais tournant la tête vers nous, est, comme tout lion, doté d'une crinière frisée alors que l'arrière-train est glabre. Il tire entre ses rangées de dents une longue langue dont l'extrémité s'enroule. Ses pattes avant prennent appui sur un rouleau. Sa queue se termine en trois pointes ; elle a la particularité, assez répandu chez ces félidés de kersanton, de passer entre les deux pattes arrière pour revenir de façon fort équivoque s'ériger vers le haut et l'avant. Tous l'art coquin du sculpteur est de jouer de cette équivocité dans verser, comme ailleurs, dans l'obscénité. La suite est à lire ici
Crossettes et gargouilles
Une belle déploration que nous décrit J.Y. Cordier :
Ce groupe sculpté en kersanton provient du cimetière, où son socle de granit est resté, avec une inscription d'une Mission de 1858 mentionnant la date de "LAN MIL V XXXX : II". Le Christ, dont le bassin est posé sur le genou gauche de sa mère, est allongé sur le genou droit tandis que sa tête retombe dans le vide, à peine soutenu par saint Jean. Il porte un perizonium noué sur le coté droit. Ses cheveux sont longs, sa barbe méchée . Sa bouche est entrouverte, laissant à découvert sa dentition. Ces éléments, parmi d'autres, permettent à E. Le Seach d'attribuer cette sculpture à l'auteur du calvaire voisin de l'église Saint-Rémi à Camaret et dont l'inscription porte la date de 1538 et le nom (du sculpteur ?) de G. PALUT.
Les trois personnages ont les paupières lourdes, presque globuleuses et baissées. Les arêtes des nez sont saillantes, comme à Camaret.
Saint Jean, vêtu d'une robe à ceinture et à bouton d'encolure, essuie une larme de la main gauche. La Vierge porte un long manteau enveloppant couvrant sa tête, proche des "capes de veuve" du Finistère. Sa gorge est couverte par une guimpe plissée qui entoure aussi le visage et masque la chevelure. Marie-Madeleine, les cheveux dénoués, toujours ostensiblement élégante avec sa robe à décolleté carré et les crevés de ses manches, ouvre un pot d'aromates décoré de cannelures obliques.
LA PORTE DU PHILOSOPHE.
La petite porte sud qui donne accès à l'église avant la sacristie encadre de kersanton le vantail peint de ce rouge si particulier à nos sanctuaires. Elle mérite un examen attentif, en raison du personnage qui en orne le fronton triangulaire, et qui a été surnommé "le philosophe". Ou bien en raison de ses pilastres à chapiteaux, et de la frise qui suit le pied-droit et la courbe en anse de panier, où des petits personnages et des passereaux s'égayent dans les rinceaux de vigne.
La frise extérieure au nord et à l'est
Ce mur comporte une série de contreforts couverts de niches à colonne cannelées et dais très ornementés. Deux de ces niches abritent aujourd'hui une statuette.
La frise, en pierre blonde, est haute d'une vingtaine de centimètres, ce qui l'apparente d'emblée aux sablières de la charpente. Lorsqu'elle passe par les contreforts qui alternent leur forme carrée et triangulaire, elle s'orne volontiers de masques ou de cuirs, alors que les thème des sculptures sont de prédominance animalière entre les contreforts. Pour la suite de l'étude détaillée, c'est ici.
Entrons enfin dans l'église...
L’église possède une nef avec bas-côtés, puis deux transepts successifs et enfin un chœur au centre du chevet de type Beaumanoir.
La lumière qui provient des vitraux latéraux inonde le chœur et participe à la théâtralisation du lieu en mettant en valeur la richesse des retables.
Entraits et blochets
La voûte lambrissée et la charpente ont été restaurées récemment (2009-2012).
A chaque extrémité des entraits qui maintiennent l’angle de la toiture figurent des engoulants, têtes de monstres qui enserrent la poutre entre leurs dents.
Les blochets d’origine ont été restaurés ou reproduits à l’identique : saint Suliau avec ses quatre bâtons, le Christ portant le globe, des apôtres avec leurs attributs et des anges présentant les instruments de la passion. Deux blochets récents sont à l’effigie de Mme de Ponthaud, l’architecte en chef qui a supervisé la restauration, et de M. Breton, maire de Sizun. On y reconnaît un clin d’œil facétieux du sculpteur Erwan Le Ber.
Le maître-autel en bois a été réalisé principalement dans la seconde moitié du XVIIe siècle, vers 1670. Il pourrait être l’œuvre des ateliers landernéens de Maurice Le Roux.
L’autel est surmonté d’un petit retable à tourelles orné de colonnettes torses et de statuettes dans leurs niches. De part et d’autre du tabernacle sont disposés les quatre Évangélistes et, au-dessous, saint Pierre et saint Paul. Sur les côtés du retable, une Vierge à l’Enfant et saint Joseph sont représentés dans des médaillons.
La partie supérieure a été réalisé en 1830 par l’atelier Pondaven de Saint-Pol-de-Léon. Elle se compose d’un tableau central représentant l’Ascension, et de deux statues latérales : à gauche, une Vierge à l’Enfant appelée Notre Dame de Grâce et, à droite, saint Suliau coiffé d’une mitre.
Dans le fronton, le Père Eternel est figuré dans une gloire.
Le retable de la Trinité
A gauche du maître-autel, ce retable du XVIIe siècle a la particularité d’avoir été réalisé en marbre et en tuffeau du Val de Loire, une marque ostensible de prospérité à une époque où les retables des églises environnantes étaient habituellement en bois. Ce travail a été confié à des ateliers extérieurs à la Bretagne, les « Lavallois ».
Sur le tableau central du XIXe siècle, un ange sous les traits d’un enfant explique à saint Augustin qu’il serait plus facile de verser toute l’eau de l’océan dans un trou creusé dans le sable que de comprendre le mystère de la Trinité.
Sur le fronton, le Christ porte le globe, encadré par deux Vertus, la Prudence tenant un miroir et l’Espérance avec une ancre.
Le retable du rosaire
Les confréries du Rosaire ont été fondées par un religieux dominicain, originaire du manoir de Kerbilio en Sizun : le bienheureux Alain de la Roche.
La vallée de l’Élorn conserve une dizaine de retables du Rosaire (plus d’une centaine dans le département), souvent des œuvres remarquables.
C’est donc Alain de la Roche (1428-1475) qui, en 1464, fut l’initiateur de cette dévotion qui gagna toute l’Europe.
Curieusement les premières confréries de Bretagne ne verront le jour que dans les années 1630.
Dans le transept sud, l’autel du Rosaire a été réalisé en 1655 par le morlaisien Jean Berthouloux. Le tableau central, plus tardif, représente la Vierge et l’Enfant donnant le chapelet à saint Dominique et sainte Catherine de Sienne. Autour de cette scène, quinze médaillons peints illustrent les mystères du Rosaire. Plus bas, les deux saints sont de nouveau figurés en statues.
Quatre colonnes torses sont richement décorées de vignes où grappillent des oiseaux et des angelots. Elles soutiennent un fronton où apparaît une Vierge à l’Enfant, entre deux grands anges portant perruque.
Pour une description complète des retables de l'église, lire ici la page du site de l'APEVE
et pour la chaire, le buffet d'orgues et le baptistère, lire là.
Pour conclure, une annonce de l'Apeve, Association pour la Promotion des Enclos paroissiaux de la Vallée de l'Elorn.
Les prochaines visite-conférences auront lieu, si la situation sanitaire le permet, au printemps 2021. Dans un premier temps nous programmerons Daoulas et St Cadou.
Nous venons de republier un fascicule sur tous les enclos de la vallée de l’Elorn au format 10,5x15, et nous avons déjà quatorze plaquettes détaillées. On les trouve à la mairie de La Martyre et dans les Offices du tourisme, à Landerneau au FHEL, à la librairie les Passagers du livre, au Comptoir des produits bretons ou en téléphonant au 02 98 20 26 95 et bien sûr à nos visite-conférences... Voir la rubrique « publications ».
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane