Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
26 Janvier 2022
Musique et poésie....aujourd'hui. Encore une belle découverte en écoutant le groupe "Birds on a wire"...
Cette mélodie fut composée quatre ans après "Au bord de l’eau," sur un autre texte de Sully-Prudhomme qui figure dans les Stances et Poèmes (1865) sous le titre Le long du quai les grands vaisseaux. Le thème du poème – «aux hommes le labeur, aux femmes les pleurs» – est un jeu de mots et de considérations entre les «vaisseaux», dans lesquels les marins partent en mer, et les «berceaux», plus petits mais de forme identique, dans lesquels les mères bercent des enfants qui ne connaîtront peut-être jamais leur père. Fauré a écrit un mélange de berceuse et de barcarolle en si bémol mineur, l’une de ses tonalités les plus chères. D’abord, la mélodie semble intime, comme il sied au bercement (l’accompagnement en triolets, ondoyant d’une main à l’autre, est une invention magistrale); puis, dans la section centrale culminante («Tentent les horizons qui leurrent»), la musique prend un tour dramatique exacerbé, rare dans les mélodies fauréennes – nous entendons soudain le déchirement des femmes qu’on laisse, mais aussi leur colère envers la mer, perpétuelle maîtresse des marins. Cette explosion de sentiments cesse cependant aussi vite qu’elle avait commencé. L’ambitus vocal de la mélodie embrasse une étonnante treizième, de la bémol grave à fa aigu. Nous pouvons mesurer combien le Fauré deuxième manière maîtrisait ses moyens à la façon dont il évite toute sensation de contraste désordonné entre les femmes à la maison et les hommes sur les flots. Tout est habilement mené avec équilibre, notamment la transition, remarquable de concision et superbe d’efficacité, qui conduit à la troisième strophe du poème. Le moto perpetuo qu’est cette lancinante mélodie semble faire inconsciemment écho aux mots, contemporains, de Whitman: «Du berceau balançant sans fin … la navette musicale … Chante une réminiscence.»
extrait des notes rédigées par Graham Johnson © 2005
Le long du quai
René-François Sully-Prudhomme
Le long du Quai, les grands vaisseaux,
Que la houle incline en silence,
Ne prennent pas garde aux berceaux,
Que la main des femmes balance.
Mais viendra le jour des adieux,
Car il faut que les femmes pleurent,
Et que les hommes curieux
Tentent les horizons qui leurrent!
Et ce jour-là les grands vaisseaux,
Fuyant le port qui diminue,
Sentent leur masse retenue
Par l'âme des lointains berceaux.
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane