Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
5 Avril 2022
C'est à nouveau sur le site "Desk-Russie.eu que j'ai lu un essai très intéressant de Serguei Lébédev (toujours grâce à ma chère C." :
Sergueï Lebedev, né en 1981, vit à Moscou où il travaille comme journaliste. Il a participé à plusieurs expéditions géologiques vers le nord de la Russie, au cours desquelles il a découvert des vestiges de camps du Goulag. Cette rencontre avec les traces de la terreur stalinienne a nourri sa création littéraire. La Limite de l’oubli est son premier roman.
Le 17 février 2022, une semaine avant que la Russie ne lance contre l’Ukraine une nouvelle offensive, aussi insensée que cruelle, le quadragénaire a publié dans le journal suisse Neue Zürcher Zeitung un article où il s’interroge sur la passivité de ses concitoyens face à la guerre déclenchée par leur pays contre l’Ukraine en 2014. Cet article mérite d’être lu et relu aujourd’hui, alors que beaucoup se demandent pourquoi la société russe ne manifeste pas massivement contre la guerre, et que certains appellent même les Russes à descendre massivement dans les rues pour « faire tomber ce régime » — comme le formule sans ambiguïté Jonathan Littell dans une récente tribune du Monde. En effet, Lébédev y pose la question de l’éthique de cette société russe dans laquelle la vie humaine compte peu et où, contrairement aux stéréotypes ancrés en Occident, chacun cherche avant tout à survivre avec ses plus proches.
Autre extrait d'article :
« Le plus terrible avec cet héritage soviétique, c’est que, pour nous, l’idée même d’un groupe, d’une union, d’une coopération est compromise. Toute forme de collectif est bannie, car suspecte a priori. Quand la situation du pays a commencé à se dégrader, nous avons été incapables de construire des structures susceptibles de contrer l’avancée de ce nouveau glacier. Nous n’avons pas su développer une résistance directe. Les comportements d’évitement, de louvoiement ont été nos seuls réflexes de résistance. Nous nous sommes réfugiés dans une zone grise, comme l’avait fait l’intelligentsia soviétique.
Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de mettre des milliers de gens en prison, il suffit d’en arrêter quelques-uns pour que toutes les peurs enfouies dans le subconscient collectif se réveillent et que les gens reculent et désertent les places où se tiennent les manifestations.
En 1999, selon des enquêtes fiables, les deux principales revendications de la population étaient la sécurité et la restauration de la fierté nationale. Nous, la dernière génération de l’URSS, nous étions sans nous en rendre compte irradiés par la culture soviétique, par les mythes fondateurs – la guerre, le grand sacrifice des soviétiques. Il est facile de faire ressurgir ces thèmes : il suffit d’appuyer sur le bouton du magnétophone pour entendre à nouveau le chant de la guerre sacrée."
Aux éditions Verdier :
Les hommes d’août
L’année de la comète
La limite de l’oubli
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane