Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
28 Octobre 2025
Né en 1929 à Pont-l’Abbé, Son ar Chistr (“le chant du cidre”), écrit par Jean Bernard et Jean-Marie Prima, célèbre avec entrain la convivialité bretonne, la danse et le cidre. Repris sans relâche dans les fest-noz, il chante la joie simple d’un peuple fidèle à sa terre et à sa langue.
Dans cette chanson à boire en breton, les verres se lèvent et les cœurs s’ouvrent : la fête y est à la fois populaire et poétique, enracinée dans la culture paysanne. Popularisée dans les années 1970 par Alan Stivell, puis par Tri Yann, elle franchira bientôt les frontières, prouvant qu’un air né sur les rives de l’Odet peut parler à tous les terroirs — et même à tous les continents. Aujourd’hui encore, Son ar Chistr résonne dans les tavernes et les veillées : un condensé de chaleur, de partage et de fierté bretonne.
Ev sistr 'ta Laou, rak sistr zo mat, loñla
Ev sistr 'ta Laou, rak sistr zo mat
Ev sistr 'ta Laou, rak sistr zo mat
Ur blank, ur blank ar chopinad loñla
Ur blank, ur blank ar chopinad
Ar sistr zo graet 'vit bout evet, loñla
Hag ar merc'hed 'vit bout karet
Karomp pep hini e hini, loñla
'Vo kuit da zen kaout jalousi
N'oan ket c'hoazh tri mizeureujet, loñla
'Ben 'vezen bemdez chikanet
Taolioù botoù, fasadigoù, loñla
Ha toull an nor 'wechadigoù
Met n'eo ket se 'ra poan-spered din, loñla
Ar pezh 'oa bet lavaret din
Lâret 'oa din'oan butuner, loñla
Ha lonker sistr ha merc'hetaer
Ev sistr 'ta Laou, rak sistr zo mat, loñla
Ur blank, ur blank ar chopinad
Bois donc du cidre, Laou, car le cidre est bon lonla
Bois donc du cidre, Laou, car le cidre est bon
Bois donc du cidre, Laou, car le cidre est bon
Un sou, un sou la chopine lonla
Un sou, un sou la chopine
Le cidre est fait pour être bu
Et les filles pour être aimées
Aimons chacun notre chacune
Et il n’y aura plus de jalousie
Je n’étais pas marié depuis trois mois
Que je me faisais chicaner chaque jour
Des coups de pieds, des gifles
Et flanqué à la porte quelquefois
Mais ce n’est pas ce qui me chagrine le plus
C’est ce qu’on disait de moi
On disait de moi que j’étais fumeur
Buveur de cidre et coureur de jupons
Bois donc du cidre, Laou, car le cidre est bon
Un sou, un sou la chopine
Il arrive que les chansons les plus joyeuses deviennent, au fil du temps, des hymnes de résistance. C’est le destin singulier de Son ar Chistr, reprise en 1976 par le groupe néerlandais Bots sous le titre Sieben Tage lang. Dans un contexte d’après-68 marqué par les luttes sociales, la fête se fait fraternité, et la fraternité, révolte.
Le refrain — « Nous buvons ensemble, pas tout seul » — devient alors un cri d’union contre l’individualisme. Portée par une mélodie entraînante, la chanson se répand dans les rues d’Allemagne et de Hollande, reprise lors des manifestations comme un hymne à la solidarité. Sous sa cadence dansante, elle porte le rêve d’un âge d’or où « tout appartient à tous » : l’écho des paysans insurgés, des utopistes et des barricades. Ensemble, pas tout seul : le cidre s’est fait étendard.
Was wollen wir trinken sieben Tage lang
Was wollen wir trinken so ein Durst
Was wollen wir trinken sieben Tage lang
Was wollen wir trinken so ein Durst
Es wird genug für alle sein
Wir trinken zusammen
Roh was das rein
Wir trinken zusammen nicht allein
Dann wollen wir schaffen sieben Tage lang
Dann wollen wir schaffen komm was an
Dann wollen wir schaffen sieben Tage lang
Dann wollen wir schaffen komm was an
Und das wird keine Flakerei
Wir schaffen zusammen sieben Tage lang
Wir schaffen zusammen nicht allein
Jetzt müssen wir schreiten
Keine weiss wie lang
Ja für ein Leben ohne Zwang
Dann kriegt der Fürst uns nicht mehr klein
Wir haben zusammen keine Angst allein
Wir gehen zusammen nicht allein
Une chanson toujours vivante
C’est une jeune bretonne, passionnée de langue et de culture régionale, qui m’a récemment redonné envie d’écouter Son ar Chistr — version après version. Sa vidéo m’a rappelé combien cette chanson, malgré son apparente légèreté, traverse des zones d’ombre : la consommation de cidre et le problème de l’alcoolisme en Bretagne, bien réels et rarement évoqués.
Autre dérive plus récente : la récupération malveillante du chant sur certains réseaux, au moment de l’invasion de l’Ukraine, où des comptes proches de l’extrême droite l’ont associée à une imagerie nationaliste ou même nazie. Vieille antienne, hélas, que celle de la prétendue alliance entre culture bretonne et des idéologies douteuses — un écho lointain du mouvement Breiz Atao, quand certains croyaient sauver la langue au prix de compromissions.
Apprendre le breton...
Apprendre le breton, c’est aussi rouvrir ces chemins de traverse où l’histoire, la musique et la mémoire populaire se croisent. À travers Son ar Chistr, je découvre qu’une chanson peut contenir tout un monde : la fête et la révolte, le partage et la blessure, la Bretagne d’hier et celle qui continue de chanter, ensemble, pas toute seule.
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane