Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.

Brève de lecture : Deaf Sentence de David Lodge

Brève de lecture : Deaf Sentence de David Lodge

Une première pour moi : lire David Lodge dans une version française traduite par Maurice et Yvonne Couturier. J'ai lu ses précédents romans en anglais, mais mon amie V. m'avait gentiment prêté cette version française en version audio. A part la traduction du titre qui m'a laissé sur ma faim : le sel de la quasi homophonie de deaf et death pour un mal entendant étant perdu dans ce titre très neutre de "vie en sourdine", on ne peut qu'apprécier le travail de ces traducteurs réputés.

La comédie de mœurs est le registre favori de David Lodge. Dans "la vie en sourdine" il raconte - entre gravité désabusée et drôlerie caustique - les pitoyables mésaventures de Desmond, un prof de linguistique qui vient de prendre sa retraite anticipée à cause de ses problèmes d'audition. Malgré le secours d'une prothèse haut de gamme, le malheureux a bien de la peine à éviter que ses conversations ne soient des dialogues de sourds. Flanqué d'une trop encombrante épouse et d'un vieux père dont la prostate se mite lentement, Desmond devra peu à peu brader ses dernières illusions, avant que ses oreilles ne lui jouent un sale tour: à l'occasion d'un vernissage, il se laisse embobiner par la redoutable Alex, une étudiante mythomane et passablement perverse qui l'entraînera dans un traquenard qui pourrait lui être fatal.

Il est, au moins deux romans, dans le dernier opus de David Logde : un campus novel, point d’orgue de sa superbe trilogie universitaire, Changement de décor (Changing Places, 1975), Un tout petit monde (Small World, 1984) et Jeu de société (Nice Work, 1988) mais aussi une œuvre plus intimiste, crépusculaire ayant la surdité pour thème central, cette « sorte d’avant-goût de la mort, une très lente introduction au long silence dans lequel nous finirons tous par sombrer ».

Lodge n’a rien perdu de sa verve quand il s’agit du monde universitaire ; il brocarde toujours la médiocrité éclatante des professeurs, leur ambition inversement proportionnelle à leur brio, il s’amuse de la sexualité oblique des étudiantes Mais le monde universitaire n’est plus qu’un arrière-plan, il scintille de ses derniers feux.

L’essence du roman est ailleurs : dans une méditation poignante sur les fins, les agonies, les deuils. Il s’interroge sur l’existence d’un instinct de surdité analogue à l’instinct de mort analysé par Freud, est-ce une manière de se détacher des autres pour se replier sur soi ?

Un extrait pour saisir toute la cocasserie de ce roman :

« La surdité est comique, alors que la cécité est tragique. Prenez Œdipe, par exemple : imaginez qu’au lieu de s’arracher les yeux il se soit crevé les tympans. Ç’aurait été plus logique, en fait, puisque c’est par les oreilles qu’il a appris l’atroce vérité quant à son passé, mais ça n’aurait pas eu le même effet cathartique. Cela pourrait susciter de la pitié, peut-être, mais pas de la terreur. Ecoutez le Samson de Milton : « O dark, dark, dark, amid the blaze of noon, / Irrecoverably dark, without all hope of day » (Ô sombre, sombre, sombre, au milieu de la fournaise de midi, / Irrévocablement sombre, sans espoir de jour) n’a pas le même pathos évidemment. Comment cela pourrait-il continuer ? « O deaf, deaf, deaf, amid the noise of noon, / Irrecoverably deaf, without all hope of sound » (Ô sourd, sourd, sourd, parmi les bruits de midi, / Irrévocablement sourd, sans espoir de bruit). Non.

Bien sûr, vous pourriez arguer que la cécité est une affliction plus grande que la surdité. Si j’avais à choisir entre les deux, je choisirais la surdité, je l’admets. Mais ces deux infirmités sensorielles n’ont pas entre elles que des différences de degré. Culturellement, symboliquement, elles sont antithétiques. Le tragique par opposition au comique. Le poétique par opposition au prosaïque. Le sublime par opposition au ridicule. Une des injures les plus fortes dans notre langue, un peu démodée aujourd’hui, est « Damn your eyes ! » (maudits soient tes yeux) (beaucoup plus fort que « Fuck you ! » et infiniment plus satisfaisant – essayez cela la prochaine fois qu’un butor dans une camionnette blanche essaiera de vous écraser) « Damn your ears ! » ne fait pas le poids. »

Lodge s’amuse des « durs de la feuille », des « sourdingues », dont il est. Ce faisant, il envisage la surdité dans ses dimensions intimes, sociales, culturelles et linguistiques, de manière décalée, à la fois érudite et drôle, sérieuse et loufoque, en un mot, spirituelle.

David Lodge s'intéresse aux petites joies, aux blessures et aux drames de la vie quotidienne. C'est très anglais, mais un Français s'y retrouve parfaitement. Ce livre est un délice, avec juste ce qu'il faut d'humour, de réflexion, d'érotisme et de tendresse. Des bulles de champagne, comme savent en fabriquer quelques grands alchimistes anglo-saxons.

sources : mediapart

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos
une-vie-de-setter

Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane

Commenter cet article