Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
15 Mars 2023
Laissons "Esprits Nomades" nous présenter Alexandre Blok :
Être poète russe, voulait dire encore il y a peu en Russie et sans doute encore, être un voyant.
Alexandre Blok fut cela, et, autant que Pouchkine, il aura marqué les lettres russes. Il aura été sans le vouloir à la jonction des mondes qui s’opposaient, et dans le passage fiévreux d’espoir de l’un à l’autre. Il pressentait qu’il lui faudrait vivre dans un autre temps. Il le désirait : il en fut terrassé de déceptions.
Et il se laissa quasiment mourir de désolation pour sa « patrie malade ». Alexandre Blok sera victime d’une sorte de non-désir de vivre : « Le poète meurt parce qu’il ne peut plus respirer. La vie a perdu son sens », a-t-il écrit. Comme ses amis poètes - Nicolas Goumilev, Serge Essénine, Maïakovski, Marina Tsvétaéva, Ossip Mandelstam...- il sera fauché avant que les blés ne soient mûrs. À 41 ans, le 7 août 1921, il disparaît, laissant dans la glaciation qui s’étend, une Russie figée où n’émergent qu’Anna Akhmatova et Pasternak réduits au silence et à l’effroi.
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Александр Блок
ДВЕНАДЦАТЬ
Поэма
1
Черный вечер.
Белый снег.
Ветер, ветер!
На ногах не стоит человек.
Ветер, ветер –
На всем божьем свете!
Завивает ветер
Белый снежок.
Под снежком – ледок.
Скользко, тяжко,
Всякий ходок
Скользит – ах, бедняжка!
От здания к зданию
Протянут канат.
На канате – плакат:
“Вся власть Учредительному Собранию!”
Старушка убивается – плачет,
Никак не поймет, что значит,
На что такой плакат,
Такой огромный лоскут?
Сколько бы вышло портянок для ребят,
А всякий – раздет, разут. .
.
Старушка, как курица,
Кой-как перемотнулась через сугроб.
– Ох, Матушка-Заступница!
– Ох, большевики загонят в гроб!
Ветер хлесткий!
Не отстает и мороз!
И буржуй на перекрестке
В воротник упрятал нос.
А это кто? – Длинные волосы
И говорит вполголоса:
– Предатели!
– Погибла Россия!
Должно быть, писатель –
Вития. . .
А вон и долгополый –
Сторонкой – за сугроб. . .
Чтó нынче невеселый,
Товарищ поп?
Помнишь, как бывало
Брюхом шел вперед,
И крестом сияло
Брюхо на народ? . .
Вон барыня в каракуле
К другой подвернулась:
– Ужь мы плакали, плакали. . .
Поскользнулась
И – бац – растянулась!
Ай, ай!
Тяни, подымай!
Ветер веселый
И зол и рад.
Крутит подолы,
Прохожих кóсит,
Рвет, мнет и носит
Большой плакат:
“Вся власть Учредительному Собранию”. .
И слова доносит:
. . .И у нас было собрание.
. . .Вот в этом здании.
. . .Обсудили –
Постановили:
На время – десять, нá ночь – двадцать пять. . .
. . .И меньше – ни с кого не брать. . .
. . .Пойдем спать. . .
Поздний вечер.
Пустеет улица.
Один бродяга
Сутулится,
Да свищет ветер. . .
Эй, бедняга!
Подходи –
Поцелуемся. . .
Хлеба!
Что впереди?.
Проходи!
Черное, черное небо.
Злоба, грустная злоба
Кипит в груди. . .
Черная злоба, святая злоба. . .
Товарищ! Гляди
В оба!
Soir noir.
Neige blanche.
Ce vent, ce vent !
Sur leurs jambes, tous flanchent.
Ce vent, ce vent —
Sur toute cette sacrée terre !
Ils virent dans le vent,
Les flocons blancs.
Sous les flocons — la glace.
C’est dur, ça glisse —
Chaque passant
Glissant — ah, misérable !
D’un bâtiment à l’autre
Tendu, un câble.
A ce câble — une banderole :
“ Pleins pouvoirs à la Constituante !”
Une vieillarde se torture — larmoie,
Pas moyen de comprendre, ça veut dire quoi,
Cet écriteau, pourquoi
Cet énorme chiffon-là ?
On en tirerait combien, des guêtres, pour les gosses ?
Eux qui sont sans vêtements, sans chaussures, tous…
La vieillarde, en vraie poularde,
Vaille que vaille traverse une congère.
— Oh, mère de miséricorde !
— Oh, les bolcheviks vous mettent en bière !
Un vent qui cingle
Et ce gel qui vous sangle !
Le bourgeois, à la croisée
Dans son col a caché son nez.
Et ça, c’est qui ? — cheveux longs
A mi-voix, parlant :
— Traîtres !
— La Russie est morte !
Un écrivain, faut croire —
Un phraseur…
Et voilà la robe à longs pans —
En tapinois — et passe la congère…
Quoi, on a perdu sa joie,
Camarade pope ?
Tu te souviens, comment c’était,
Tu marchais, ventre en avant,
Et sous la croix, il rayonnait,
Ton ventre, sur tous les gens ?…
Voilà la dame en astrakan
Qui vers une autre s’est tournée :
— Ce qu’on a pu pleurer et pleurer…
Elle a glissé
Et — paf — s’est étalée !
Ahi ahi !
Tire, ho hisse !
Un vent joyeux
Un mauvais, un heureux.
Un qui soulève les jupons,
Qui cisaille les piétons,
Qui arrache, qui enroule et qui emporte
La grande baderole :
“Pleins pouvoirs à la Constituante”…
Et qui rapporte des paroles :
… Chez nous aussi on s’est réuni…
… Juste là, dans ce bâtiment-là…
… On a discuté —
Etabli :
Une passe — dix roubles, la nuit — vingt-cinq…
… En dessous de ça — pour personne, pas moyen…
… On va se coucher, viens…
Soir, il est tard.
La rue s’est vidée.
Un clochard
S’affaisse,
Et ce vent de siffler…
Eh, crevard !
Viens voir —
Qu’on s’embrasse…
Du pain !
Qu’est-ce qu’il ya plus loin ? Passe ton chemin !
Noir, le ciel, noir.
La haine, triste la haine
Qui bout dans la poitrine…
Noire la haine, sainte la haine…
Camarade ! Aie-les,
Tes yeux, grands ouverts !
… / …
Alexandre Blok / Douze (extrait)
traduit du russe par Olivier Kachler
Pour les plus curieux une analyse du poème à lire ici
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane