Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
30 Janvier 2024
Venus d’Inde, passés en Perse, traduits en arabe, les contes des Mille et Une Nuits font rêver les hommes depuis des temps immémoriaux. Français et Européens les découvrirent au xviiie siècle, dans la traduction d’Antoine Galland. À la fin du xixe , le jeune Ravel en subit à son tour la fascination. Encore étudiant au Conservatoire, le futur auteur de Ma Mère l’Oye imagina une sorte d’opéra-ballet dont la belle Schéhérazade serait l’héroïne. De ce mirifique projet, seule vit le jour une Ouverture de féerie (1899), bientôt enterrée, mais le jeune musicien ne tarda pas à revenir, par un chemin détourné, à la conteuse légendaire.
En 1903, son ami Tristan Klingsor publiait un recueil de poèmes intitulé Schéhérazade. Membre, comme Ravel, du groupe des Apaches, joyeuse bande d’artistes d’avant-garde, Klingsor était à la fois poète, peintre, musicien et critique d’art. Séduit par le pittoresque oriental, la souplesse et la musicalité de ses vers libres, Ravel choisit trois pièces pour en faire un cycle de mélodies avec orchestre. Sa prosodie, soucieuse « d’en exalter les accents et les inflexions, de les magnifier par la transposition mélodique », rappelle par sa justesse celle de Debussy dans Pelléas et Mélisande (1902), même s’il opte pour une vocalité plus ample et variée, allant du simple recto tono au lyrisme le plus expressif.
La suite de la présentation est à lire ici : Source France Musique
Asie, Asie, Asie.
Vieux pays merveilleux des contes de nourrice
Où dort la fantaisie comme une impératrice
En sa forêt tout emplie de mystère.
Asie,
Je voudrais m'en aller avec la goélette
Qui se berce ce soir dans le port
Mystérieuse et solitaire
Et qui déploie enfin ses voiles violettes
Comme un immense oiseau de nuit
dans le ciel d'or.
Je voudrais m'en aller vers des îles de fleurs
En écoutant chanter la mer perverse
Sur un vieux rythme ensorceleur.
Je voudrais voir Damas et les villes de Perse
Avec les minarets légers dans l'air.
Je voudrais voir de beaux turbans de soie
Sur des visages noirs aux dents claires;
Je voudrais voir des yeux sombres d'amour
Et des prunelles brillantes de joie
En des peaux jaunes comme des oranges;
Je voudrais voir des vêtements de velours
Et des habits à longues franges.
Je voudrais voir des calumets entre des bouches
Tout entourées de barbe blanche;
Je voudrais voir d'âpres marchands aux regards louches,
Et des cadis, et des vizirs
Qui du seul mouvement de leur doigt qui se penche
Accordent vie ou mort au gré de leur désir.
Je voudrais voir la Perse, et
l'Inde, et puis la Chine,
Les mandarins ventrus sous les ombrelles,
Et les princesses aux mains fines,
Et les lettrés qui se querellent
Sur la poésie et sur la beauté;
Je voudrais m'attarder au palais enchanté
Et comme un voyageur étranger
Contempler à loisir des paysages peints
Sur des étoffes en des cadres de sapin
Avec un personnage au milieu d'un verger;
Je voudrais voir des assassins souriant
Du bourreau qui coupe un cou d'innocent
Avec son grand sabre courbé d'Orient.
Je voudrais voir des pauvres et des reines;
Je voudrais voir des roses et du sang;
Je voudrais voir mourir d'amour ou bien de haine.
Et puis m'en revenir plus tard
Narrer mon aventure aux curieux de rêves
En élevant comme Sindbad ma vieille tasse arabe
De temps en temps jusqu'à mes lèvres
Pour interrompre le conte avec art...
LA FLÛTE ENCHANTÉE
L'ombre est douce et mon maître dort
Coiffé d'un bonnet conique de soie
Et son long nez jaune en sa barbe blanche.
Mais moi, je suis éveillée encor
Et j'écoute au dehors
Une chanson de flûte où s'épanche
Tour à tour la tristesse ou la joie.
Un air tour à tour langoureux ou frivole
Que mon amoureux chéri joue,
Et quand je m'approche de la croisée
Il me semble que chaque note s'envole
De la flûte vers ma joue
Comme un mystérieux baiser.
L'INDIFFÉRENT
Tes yeux sont doux comme ceux d'une fille,
Jeune étranger,
Et la courbe fine
De ton beau visage de duvet ombragé
Est plus séduisante encor de ligne.
Ta lèvre chante sur le pas de ma porte
Une langue inconnue et charmante
Comme une musique fausse.
Entre! Et que mon vin te réconforte...
Mais non, tu passes
Et de mon seuil je te vois t'éloigner
Me faisant un dernier geste avec grâce
Et la hanche légèrement ployée
Par ta démarche féminine et lasse..
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane