Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
10 Mai 2022
La compositrice :
Sofia Asgatovna Goubaïdoulina est née le 24 octobre 1931 à Tchistopol, en République autonome tatare. Son père, ingénieur des mines, tatare, et sa mère, institutrice, Russe d’origine juive polonaise, sont un exemple d’assimilation à la soviétique, mais sont également typiques du creuset multiculturel que constitue la capitale Kazan, où s’installe la famille l’année suivant sa naissance. À la fois carrefour et centre, ce lieu au riche passé universitaire attire alors de nombreux intellectuels. Goubaïdoulina, dont le grand-père paternel était un mollah, dira plus tard : « Je suis l’endroit où l’Orient rencontre l’Occident ». Une icône, découverte à l’âge de cinq ans à l’occasion de vacances passées dans le village de Nijni Uslon sur les rives de la Volga, lui apparaît comme une révélation de sa propre conscience religieuse. Lors d’une enfance à Kazan décrite comme particulièrement terne, la musique qu’elle pratique sur le piano offert par ses parents est un refuge. Pourtant, elle ressent tôt une distance entre ce à quoi elle aspire et ce que lui impose le cadre scolaire, si bien qu’elle développe un goût marqué pour l’improvisation et l’exploration du potentiel du piano, notamment le jeu dans les cordes. Elle étudie à l’Académie de musique (1946-1949), puis au Conservatoire de Kazan (1949-1954), alors que son activité créatrice commence dès le début des années 1950.
Sources : Ircam. La suite est à lire ici
L'oeuvre :
Tout commence par un unisson tronqué, planté aussi haut que l'astre et ondulant comme un rai de lumière. Un chœur de basses, des stridences, des percussions en carillon et le violoncelle tortueux et glissant de Rostropovitch, à qui Sofia Gubaïdulina a dédié le Cantique du soleil:
«Dans mon imaginaire, explique-t-elle, Rostropovitch est en permanence associé à l'illumination du soleil, à l'éclat du soleil, à l'énergie du soleil.»
Pour ce geste musical large, Gubaïdulina a utilisé le texte de saint François d'Assise, que les voix distillent par bribes : la partie chorale est volontairement très resserrée, réservée à des interventions ponctuelles, pour laisser la place au violoncelle et aux percussions. Les instruments ici n'enrobent pas les mots, ils expriment en «gestes instrumentaux métaphoriques» (selon l'expression de Gubaïdulina) ce qui ne peut être ni chanté ni dit: l'attente, l'angoisse, les hésitations de la création du monde, le tumulte des éléments qui se révèlent les uns aux autres.
Cette musique vient d'un temps préharmonique, qui découvrait le son et devait l'ordonner. On découvre tout autant les terres inexplorées du violoncelle, qui couine, tape, va chercher des aigus improbables ou sombres dans le registre de la contrebasse. Ces architectures sonores irrégulières ont pour fondement une connaissance surfine de la percussion, dont Gubaïdulina convoque toutes les variations terrestres. Ordonnance suspendue, fragile et transparente, teintée d'improvisations intuitives, dont les structures complexes et peu visibles visitent les formes sérielles autant que la simplicité d'un accord parfait.
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane