Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
15 Mars 2025
Une de mes routines matinales : regarder un épisode des vidéos du "Mythologist". Ce matin, il s'agissait d'explorer les différentes versions du mythe de Tiresias.
Tirésias, est un devin thébain de la mythologie grecque tantôt homme, tantôt femme. Il existe plusieurs versions du mythe.
Quand Jupiter prétendit que la femme prenait plus de plaisir que l'homme à l'acte sexuel et que son épouse Junon prétendit le contraire, les dieux demandèrent l'avis de Tirésias qui avait l'expérience des deux sexes. Tirésias se rangea de l'avis de Jupiter. Et Junon, « plus offensée qu'il ne convenait de l'être pour un sujet aussi léger, condamna les yeux de son juge à des ténèbres éternelles » (Métamorphoses, III, 316-338). Jupiter ne pouvait aller à l'encontre de la décision de Junon, alors, pour compenser sa cécité, il offrit à Tirésias le don de la prophétie et une vie longue de sept générations.
Quelques représentations du Mythe dans l'art, d'après Homère
d'après Ovide
Plus près de nous, dans l'art contemporain
Le personnage de Tiresias, dans les mythes grecs, exemplifie judicieusement l'essence de la photographie de Stoddard. Ce devin providentiel incarne à merveille la figure sage et mystique de l’aveugle aux yeux ouverts sur un autre monde, une autre réalité, à qui des secrets sont révélés par sa capacité à « voir » au-delà. Mais si Tirésias dépasse les limites de la vision, il transcende aussi celles des sexes, et balaye par là-même, symboliquement, toute idée de dualité. Sa sagesse androgyne et éthérée va même jusqu’à vaincre la mort, ses dons se poursuivant aux Enfers. Telle est la photographie d’Alex Stoddard : secrète, puissante, symbolique, mystique et mythique, douée, asexuée. Un art quasi pythique.
Pour les amoureux des belles lettres françaises "les mamelles de Tisérias" évoqueront sans doute une polémique fameuse :
Hélène Beauchamp, « Les Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire. Un scandale en temps de guerre », Fabula / Les colloques, Théâtre et scandale (I) (dir. François Lecercle, Clotilde Thouret), URL : http://www.fabula.org/colloques/document5882.php, page consultée le 13 March 2025.
Les mélomanes, quant à eux, auront peut-être le souvenir d'une œuvre de F. Poullenc.
Les Mamelles de Tirésias. Opéra bouffe en un prologue et deux actes de Francis Poulenc. Texte de Guillaume Apollinaire. Créé à l’Opéra Comique le 3 juin 1947. À travers une histoire drôle, Poulenc aborde des sujets d’actualité dans une société d’après-guerre en pleine mutation : une satire du féminisme car l’opéra se termine sur une célébration de la natalité, et un propos social nataliste lié à l’après-guerre.
À 18 ans, Francis Poulenc croisa Guillaume Apollinaire lors de la création de la pièce des Mamelles de Tirésias en pleine Première guerre mondiale, pendant la convalescence du poète blessé au front. Quelques mois plus tard, Apollinaire mourrait et Poulenc, qui mit souvent sa poésie en musique, regretta toujours de n’avoir pas eu le temps d’entamer une véritable collaboration artistique. Relu bien plus tard à la fin d’une autre guerre, le texte de la pièce lui parut convenir à la composition d’un véritable opéra bouffe, avec sa satire du féminisme, son propos social décapant et ses personnages banals transfigurés par la fantaisie du sujet : Thérèse ne décide-t-elle pas de changer de sexe pour devenir Tirésias ?
« Je crois bien que je préfère cette œuvre à tout ce que j’ai écrit, confiait Poulenc. Si l’on veut se faire une idée de ma complexe personnalité musicale, on me trouvera très exactement moi-même dans Les Mamelles de Tirésias. »
Ci-dessous, son air le plus connu : "Non, Monsieur mon mari".
L'éclairage de France Musique, bien sûr, et même un dossier pédagogique sur l'opéra, si vous le souhaitez !
LES MAMELLES DE TIRÉSIAS OPÉRA-BOUFFE EN DEUX ACTES AVEC PROLOGUE Francis Poulenc Texte de Guillaume Apollinaire 1947 Zzvtt DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Et pour conclure cet article déjà trop long une chanson grecque contemporaine.
Τειρεσίας
Ξυπνάς και του καθρέφτη τη λίμνη αναταράζεις
Ζαρκάδια ξαφνιασμένα θα πεταχτούν
Θα φύγουν για τα δάση κι από το είδωλό σου
Θα λείπουνε τα μάτια και η φωτιά
Θα ψάξεις τους δικούς σου τυφλός και τρομαγμένος
Ήρθε ο καιρός να μάθεις ποιοι σ' αγαπούν
Μα η πόλη είν' άδεια κι ο μάντης Τειρεσίας
Θ' αφήσει τον χρησμό του σε ξένη γη
Τυφλός είναι κι εκείνος που κάνει ότι δεν ξέρει
Πως πίνει απ' το πηγάδι το σκοτεινό
Που ό,τι τον κατατρώει ανάγκη το 'χει κάνει
Ή στην αυλή το κρύβει να ξεχαστεί
Την ώρα αυτή στον κάμπο ομίχλη κατεβαίνει
Τα σκιάχτρα τα κουρέλια θα φοβηθεί
Τρέξε να ψηλαφήσεις την πλάση, ακριβέ μου
Το μπράτσο της απλώνει να κρατηθείς, να κρατηθείς
Θανάσης Παπακωνσταντίνου & Σωκράτης Μάλαμα
Tirésias
Tu te réveilles et troubles le lac du miroir
Des chevreuils effrayés bondiront brusquement
Ils s’enfuiront vers la forêt, et dans ton reflet
Tes yeux et ton feu auront disparu.
Tu les chercheras, aveugle et effrayé,
Il est temps maintenant d’apprendre qui t’aime.
Mais la ville est vide, et le devin Tirésias
Laissera son oracle sur une terre étrangère, en terre étrangère.
Est aveugle aussi celui qui feint de ne pas savoir
Qu’il boit à la source obscure,
Que ce qui le ronge, il en a fait un besoin
Ou qu’il le cache dans la cour pour l’oublier.
À cette heure, la brume descend sur la plaine,
Les épouvantails auront peur de leurs haillons.
Cours, effleure le monde du bout des doigts, mon précieux,
Il tend son bras pour que tu t’y accroches, pour que tu t’y accroches.
Thanasis Papakonstantinou - Sokratis Malamas
(Essai de traduction, soyez indulgents)
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane