Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane.
9 Octobre 2018
Je vous l'ai raconté hier, j'ai testé les visites-éclair proposées par le musée des beaux arts de Brest.
J'étais arrivée tôt pour être sûre de ne pas rater le début, puis suis restée à la fin pour découvrir plus avant les richesses du musée. Voici quelques coups de coeur et commentaires présentés grâce aux documents pédagogiques trouvés sur le site du musée.
Pour continuer dans la veine de l'exposition de Pont-Aven, une première peinture nabie...
Maurice Denis (Granville, 1870 – Saint-Germain-En-Laye, 1943) Soir de septembre (la plage de Trestignel) Vers 1911 Huile sur toile Achat avec l’aide du Fonds régional d’acquisition pour les musées, 1987.
Réalisée vers 1911, cette œuvre est une étude préparatoire pour une toile conservée au Musée des beaux-arts de Nantes. Évoquant le bonheur des journées passées en famille sur la plage de Trestignel à Perros-Guirec, elle laisse transparaître l’esthétique nabie : aplats de couleurs accentuant les effets de masses, mais surtout hardiesse des couleurs composant le paysage. Tandis que le sable est bleui par la tombée du jour, la mer est peinte couleur émeraude et le ciel est teinté de la douce lumière rosée du coucher du soleil. Au premier plan, on reconnaît l’épouse du peintre, Marthe, dont la figure dédoublée entoure leur tout jeune fils, Dominique et contre qui s’appuie leur fille Madeleine, vêtue de rouge. À l’arrière, des jeunes filles jouent au tennis, et d’autres se baignent. Surnommé le « Nabi aux belles icônes », Maurice Denis est le théoricien du groupe des Nabis, publiant en 1890 dans la revue Art et Critique sa « Définition du néo-traditionnisme ». Après de nombreux séjours en Bretagne, il acquiert en 1908 une maison à Perros-Guirec, Silencio, où il vient peindre tous les étés des plages dont beaucoup ont un caractère mythologique ou spirituel.
Après avoir admiré la marine bleue, effet de vague de Georges Lacombe à Pont-Aven, quel plaisir de découvrir les vagues jaune et grise à Brest !
La mer jaune, Camaret est la transposition stylisée d’un paysage rocheux, aux formes fantastiques et anthropomorphiques. Les masses synthétisent les rochers de Camaret, vus à contre-jour, comme s’ils apparaissaient dans un théâtre d’ombres. Mais la force de cette œuvre tient dans le contraste audacieux des couleurs, entre le jaune électrique de la mer et le noir profond des rochers. Par-delà son caractère décoratif, le paysage suggère un sentiment d’inquiétude face à l’immensité marine. Cette œuvre fait partie d’une série de paysages peints par Lacombe à Camaret entre 1892 et 1894.
Décliné à travers une large palette de couleurs choisies de manière arbitraire, le motif maritime devient le support privilégié des expérimentations plastiques du peintre. Les principes du synthétisme sont poussés à leur faîte : couleurs mates posées en aplats, absence de profondeur, cloisonnement des formes. Lacombe signe ici un véritable manifeste de l’esthétique nabie.
Georges Lacombe (Versailles, 1868 – Alençon, 1916) Vorhor, vague grise, ou Falaises à Camaret 1892 Peinture à l’œuf sur toile Achat sur les crédits des dommages de guerre, 1969
Dans cette œuvre dont la composition est inspirée d’une toile de Gauguin, Marine avec vache au-dessus du gouffre, peinte au Pouldu en 1888, exposée actuellement à Pont Aven, Georges Lacombe donne au gouffre de Vorhor, à Camaret, une vision inédite. L’influence des estampes japonaises est nettement marquée : vue en contre-plongée, mise en page verticale et horizon monté au plus haut. Comme découpées, les formes sont cloisonnées et juxtaposées les unes aux autres. Choisies de manière arbitraire, les couleurs pures sont appliquées en aplat avec une peinture à l’œuf, leur donnant un rendu mat. Tels des écrans entre le spectateur et la mer, les falaises évoquent des silhouettes énigmatiques ou des profils humains. Une large place est accordée à la mer, animée d’une vague aux motifs décoratifs.
Fervent observateur de la nature, Lacombe en donne une interprétation décorative, s’attachant
particulièrement à la région de Camaret, qu’il a découverte en 1888 et où il reviendra jusqu’en 1897 pour rejoindre la colonie artistique de Camaret, formée de peintres comme Richon-Brunet ou d’écrivains comme Saint-Pol-Roux.
Un des axes de visite du musée est le voyage. Si le voyage en Italie prend son essor dès le 17e siècle, avec la création de l’Académie de France à Rome, il devient particulièrement à la mode au 18e siècle, grâce au « Grand Tour », voyage initiatique pratiqué par de nombreux amateurs d’art, collectionneurs, écrivains et artistes. Le but de ce voyage est à la fois de découvrir les œuvres antiques et les sites archéologiques (tels Herculanum ou Pompéi), mais aussi de s’inspirer des œuvres des maîtres de la Renaissance italienne.Introduite à Rome au début du 17e siècle, la veduta (littéralement : « ce qui est vu ») ou vue topographique, se développe de plus en plus, à Venise notamment, sous l’effet de l’essor du tourisme.
Souvenirs du « Grand Tour », les panoramas urbains sont en effet très recherchés des voyageurs, et en particulier des amateurs anglais. Des peintres comme Canaletto ou Volaire deviennent ainsi des védutistes réputés, exécutant d’innombrables vues de Venise ou du Vésuve.
Attribué à Giovanni Antonio Canal dit Canaletto (Venise, 1697 – Venise, 1768) Venise, la Piazzetta San Marco Vers 1740 Œuvre exposée dans la galerie du premier étage
Ce tableau de Canaletto pourrait bien être une réplique ultérieure d’une peinture réalisée entre 1725 et 1729 et conservée à la Royal Collection Trust de Londres. Malgré les apparences d’une architecture traitée avec réalisme, cette peinture offre de l’illusion plus que du réel. La composition résulte de relevés de façades effectués par le peintre à la main ou à l’aide d’une chambre obscure et assemblés à son goût. Quant aux personnages, ils sont tirés de carnets de croquis et disposés comme autant de points de couleurs selon les nécessités de la composition. L’ensemble répond au goût des voyageurs pour les vedute, les peintures de vue dont Venise est la capitale et que les voyageurs de l’aristocratie européenne rapportaient de leur « Tour » en Italie, au 18e siècle.
Peindre Brest, c’est avant tout s’inscrire dans la tradition de la peinture de marines, en mêlant précision de l’observation, goût pour les effets atmosphériques et intérêt pour le pittoresque. L’engouement pour la représentation de la ville est à son faîte au 18e siècle, période faste pour Brest, qui vient de bénéficier de grands travaux de rénovation de l’arsenal, conduits par l’architecte et ingénieur de la Marine Antoine Choquet de Lindu (1712-1790). La période correspond également au développement de la construction navale, dont l’essor se poursuivra au cours du 19e siècle avec l’apparition de la marine à vapeur. Tels Louis-Nicolas Van Blarenberghe ou Jules Noël, certains artistes endossent le rôle de « reporter », pour
témoigner au plus près de l’activité du port brestois. L’installation du bagne à Brest à partir de 1751, constitue une curiosité pour les peintres qui aiment montrer les bagnards dans les diverses tâches qui leur sont assignées. La fondation de l’Académie de Marine à Brest en 1752 renforce le lien entre la Marine et les peintres. En 1830, la création du corps des Peintres de la marine donne un nouveau souffle à la peinture de marine, qui s’accompagne désormais d’une vision romantique du paysage, à l’instar de celle développée par le premier peintre officiel de la Marine, Ferdinand Perrot.
Jules NOËL Nancy, 1815 – Alger, 1881 Le port de Brest 1864 Huile sur toile Dépôt du Fonds national d’art contemporain, 1992
Cette grande toile de Jules Noël, célèbre pour avoir figurée sur l’affiche des Fêtes Maritimes de 1992, présente au spectateur une vision idéalisée du port de Brest au 19e siècle. L’occasion en est donnée au peintre par la célébration à Brest de l’amitié franco-britannique, naissante sous Louis-Philippe et poursuivie sous Napoléon III. On aperçoit sur les navires les pavillons des deux pays : drapeau français et "red ensign" britannique. Si cette vue met en valeur les trois principaux édifices remarquables de l’architecture brestoise – la Tour Tanguy, le Pont tournant et le château –, il est toutefois difficile d’imaginer que la révolution industrielle est en marche dans le port. Parmi la profusion des bateaux, qui forment une véritable forêt de mâts, on ne remarque aucun navire à vapeur. Tout juste, aperçoit-on par endroits de la fumée en provenance des machines. Le peintre nous montre par ailleurs avec beaucoup de détails la foule animant le port : matelots, officiers, femmes et hommes habillés en costumes bretons ou vêtus à la française.
Né en 1810 à Nancy, Jules Noël passe son enfance à Quimper, puis étudie à Brest dans l’atelier du peintre Charioux. Un temps attiré par une carrière parisienne, il s’installe en définitive à Nantes en 1836, après avoir enseigné le dessin à Saint-Pol-de-Léon et à Lorient. À partir de 1847, il enseigne au Lycée Henry IV à Paris. Peintre apprécié pour ses marines romantiques, ses vieilles rues pittoresques et ses scènes en costumes, il est reconnu à la fois comme peintre de marines et précurseur de la peinture bretonne. Il fréquente le port de Brest, dont il donne plusieurs vues. Il peint également des vues pittoresques de Quimper et de Morlaix.
Source : Tous les commentaires des peintures sont extraits des documents pédagogiques disponibles sur le site du musée.
Ephéméride éclectique d'une librocubiculariste glossophile et mélomane